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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/414

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III.

Les parlemens ont été les serviteurs de cette puissance, appuyée au sol et seule visible pour le peuple; les splendeurs d’une cour comme celle de Versailles n’en ont jamais détourné les yeux. Que de châteaux plus beaux que les palais royaux, environnés de plus de majesté et d’autant de souvenirs! Les ministres restent de simples citoyens, ils vont à leur ministère comme à un bureau : ce sont des intendans, des hommes d’affaires; le pouvoir ne met pas en un jour tout à leurs pieds, rang, fortune, talent, beauté. Ils n’ont pas les enivremens d’un pouvoir qui reste absolu, quoiqu’il s’exerce au nom d’un maître. Pitt a eu des visées personnelles, il était consumé par une volonté solitaire, et sans confidens : seul, il a fait par exemple l’union de l’Irlande et de l’Angleterre; mais la plupart des ministres, et je parle des plus illustres, se sont moins regardés comme les maîtres que comme les serviteurs d’un parti, d’une classe. Walpole, Liverpool, Palmerston, n’ont jamais rien inventé. Walpole demeura vingt ans au pouvoir sans rien perdre de la rudesse joviale du gentilhomme campagnard, d’humeur facile, infatigable, toujours prêt; esprit délié d’ailleurs et plein de ressources, quoique sans nulle hauteur, il voulait surtout rester en place, et fit l’Angleterre plus grande, presque sans le savoir, presque sans le vouloir. Dans tous les cabinets, il y a les orateurs, les hommes d’affaires hissés au pouvoir et à côté d’eux des hommes que leur simple nom y porte naturellement, plus oisifs et aussi indispensables, d’ambition plus muette et cependant aussi impérieuse. Les batailles politiques de l’Angleterre font penser aux combats d’Homère, où il y a toujours deux sortes de combattans, les hommes et les dieux. Les passions sont presque les mêmes, les dieux sont quelquefois vulnérables; mais Troyens et Grecs se donnent des coups mortels, et quand leurs favoris ont mordu la poussière, les dieux remontent à l’Olympe. Dans les ministères de ce siècle, les Atrides ont été Fox, Perceval, Canning, Peel, Disraeli, Gladstone. On a vu des ministres assez hardis pour faire à leur parti une sorte de violence : avant les deux réformes parlementaires, il s’en est trouvé qui ont songé à ce grand peuple sans voix et véritablement sans représentans. Tout en servant leur parti, les meilleurs ont cherché à servir la nation; mais ils n’ont jamais prétendu le faire autrement qu’en convertissant leur propre parti à leurs idées, ils n’ont jamais montré au peuple un ennemi dans le parlement ni dans l’aristocratie.

« Vous autres, écrivait Burke au duc de Richmond en 1772, gens de grande maison et de grande fortune héréditaire, vous ne res-