Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’habitude les majorités conservatrices subissent bien plus qu’elles ne dirigent les événemens.

Dès qu’on ne peut ni augmenter ni diminuer la somme générale des salaires, la question se résume à chercher le moyen d’en assurer la distribution équitable entre ouvriers, puisa ne pas s’écarter de certaines lois invincibles, tout en s’efforçant d’équilibrer avec impartialité, mais individuellement, les bénéfices entre les travailleurs et les patrons. Ici s’élève encore une difficulté presque insurmontable. Comment déterminer la rémunération du travail autrement que d’après le prix établi sur les marchés par l’inflexible loi de l’offre et de la demande? Malheureusement le salaire se règle d’après la valeur vénale du produit et non d’après les besoins ou les efforts du producteur. Toutes les associations, toutes les sociétés coopératives du monde ne changeront rien à cette nécessité douloureuse. Le véritable bienfait des associations est d’exciter les vertus dont la pratique suffirait presque toujours d’ailleurs à empêcher les souffrances et les misères extrêmes, à faire prospérer isolément les groupes et les familles d’ouvriers.

Personne ne peut songer à fixer par une loi de maximum et de minimum le taux des salaires ou des fortunes, prétention qui constitue précisément l’erreur des diverses sectes socialistes. Dans le règlement du prix de la main-d’œuvre, la seule loi qui triomphera quand même est la loi de l’offre et de la demande. On objectera que des injustices flagrantes se révèlent dans le détail de la répartition des salaires. Pourquoi l’ouvrier du manufacturier heureux ne gagne-t-il pas plus et n’a-t-il point dans les gros bénéfices, créés par ses mains, une plus large part correspondante et une plus forte rémunération que l’ouvrier dont le travail est moins productif? Qu’importe au salarié que la richesse, fruit de ses labeurs, aille grossir la masse des capitaux transformés, il est vrai, en salaires, mais sans profit direct et personnel pour lui? Ne se chargerait-il pas, tout aussi bien que le patron, de dépenser et de rendre à la circulation l’argent de sa rémunération augmentée? Il faudrait alors que dans la manufacture d’en face les ouvriers voulussent consentir à laisser diminuer ou supprimer leur rétribution en cas de perte ou de faillite, sans quoi l’équivalence nécessaire entre les salaires, les revenus, les capitaux circulans et les produits serait détruite, et les sommes destinées à rémunérer le travail se trouveraient réduites d’autant, ainsi que la puissance de consommation. Aujourd’hui les pertes n’affectent point le salaire, qui a été payé d’avance; elles ne constituent que le désastre privé d’un capital qui s’échappe des mains du commerçant ou de l’entrepreneur malheureux, mais qui, loin d’être perdu pour tout le monde, rentre dans la circulation générale. Sur