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vent à nos yeux ; ce serait environ 1/2 milliard épargné par an. En vingt ou vingt-cinq années, chaque génération d’ouvriers travaillant de vingt à quarante-cinq ans trouverait le moyen d’amasser au moins 10 ou 15 milliards placés en propriétés, en actions et en valeurs de toute sorte.

Loin de nous la pensée de nous refuser à reconnaître de trop réelles douleurs, ou de répudier les devoirs de la saine mutualité humaine sous le prétexte, commode pour la richesse, que chacun est responsable de ses actes. Cependant nous ne pouvons laisser condamner la société et ses lois générales, sans oublier toutefois qu’une certaine part de responsabilité dans les vices et dans les crimes des pervers incombe toujours à la mollesse, à l’impéritie et à la corruption même des défenseurs naturels du droit et du bon ordre moral.

Si les produits n’ont servi qu’à payer les salaires, et les salaires qu’à créer des produits équivalens, quelle est la source des profits que réalisent l’industrie et le travail ? En d’autres termes, puisque la production est supérieure à la consommation, où s’écoulera l’excédant de manière à constituer les bénéfices dont l’ouvrier a aussi une large part, comme le constatent les dépenses du cabaret ? Bastiat, qui revient souvent sur cette idée, que dans l’état de civilisation l’homme produit plus qu’il ne consomme, ne paraît nullement redouter le trop-plein industriel et commercial que les Anglais appellent glut, engorgement ; il s’en remet pour la consommation du surcroît de la production à « l’élasticité des besoins indéfiniment expansibles, parce qu’ils naissent d’une source intarissable, le désir. » Adam Smith nous dit bien que les produits se paient en produits, et que les services se paient en services ; tout cela ne suffit point à donner la clé du problème des bénéfices.

La solution ne se trouve pas davantage, comme on pourrait le croire, dans l’utilité gratuite du sol, procurant au propriétaire une rente qui, n’ayant rien coûté et rapportant beaucoup, fournirait de quoi solder la différence nécessaire pour constituer les profits des producteurs et des vendeurs, ainsi que les revenus des consommateurs, circulairement solidaires les uns des autres, Bastiat, qui malheureusement n’a pas eu le temps de terminer son œuvre, démontre que tout ce qui est vraiment gratuit à l’origine reste perpétuellement gratuit dans le mouvement des transactions humaines ; il ajoute avec raison que le travail, présent ou antérieur, qui transforme, transporte ou modifie la matière, se paie seul, et que rien au-delà de ce service n’est rémunéré. « Par un mécanisme merveilleux, dit-il, le jeu des concurrences, en apparence antagonistes, aboutit à ce résultat singulier et consolant qu’il y a balance favorable pour tout