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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/447

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sur l’oppression mutuelle et collective. Les Américains, les Anglais, jusqu’à présent du moins, ont offert leur encens à une divinité positive et féconde, quoique non infaillible, la liberté appuyée sur la responsabilité personnelle et entraînant l’inégalité des conditions. Un des motifs qui ont toujours empêché de réussir les essais d’application des divers systèmes socialistes, c’est que les novateurs, emportés par le fanatisme de l’égalité, négligeaient à dessein dans la distribution des fonctions sociales d’instituer des fonctionnaires de richesse ou de consommation chargés de consommer sans produire, et ainsi de créer sans rien faire un bénéfice au travail. C’était prétendre réaliser une sorte de mouvement perpétuel ; aussi aucune tentative de ce genre n’a-t-elle abouti même temporairement.

On ne saurait longtemps sans périr s’écarter de la logique et du bon sens : force est bien de reconnaître le rôle nécessaire et inévitable du consommateur dans l’économie sociale. Les peuples civilisés, riches et industrieux, dit M. Baudrillart, « recommencent tous les ans, et dans bien des cas plus d’une fois par an, la consommation de leurs capitaux productifs, qui renaissent perpétuellement, et ils consomment improductivement la majeure partie de leurs revenus[1]. » N’est-ce pas là une confirmation de cette théorie, que la dépense du riche et du lettré, consommant sans produire, est la véritable source des profits définitifs ?

Pourquoi donc faire du capital un ogre ou un Saturne qui dévore ses enfans ? Le contraire serait plutôt vrai. En effet, les capitaux disponibles, comme les revenus, sont incessamment et inévitablement désagrégés, changés en salaire, puis immédiatement reconstitués pour être de nouveau lancés dans la circulation par les bénéfices du travail, de la spéculation ou du commerce. Le capitaliste n’immobilise pas plus les capitaux ou les revenus que le meunier et sa famille n’absorbent, ne boivent et ne retiennent la rivière qui fait tourner la roue du moulin. Si l’eau y va toujours, du moins, quels que soient les progrès de la science mécanique, il faut que cette eau en ressorte immédiatement, sans quoi il n’y aurait plus ni mouvement ni produit ; les forces motrices qu’elle fournit aux autres usines n’en sont nullement diminuées. Toutefois, lorsqu’une rivière débitant 1,000 mètres cubes fait tourner dix moulins, il faut se garder, pour en apprécier la force réelle, de multiplier les 1,000 mètres cubes par les dix chutes, mais spécifier que ce sont toujours les mêmes 1,000 mètres cubes d’eau dix fois utilisés successivement. C’est pourtant d’après ce procédé erroné qu’est supputée d’ordinaire la richesse des nations. La statistique

  1. Manuel d’économie politique, p. 440.