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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/466

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II. — MONTBARD. — BUFFON.

A Montbard, j’ai pu constater une fois de plus combien nous sommes inférieurs à l’ancienne société dans l’art d’honorer nos grands hommes. Rien de moins ingénieux et de plus monotone que le culte que nous leur rendons. Pour tous également, qu’ils aient sauvé la patrie, écrit des romans, rédigé des lois ou interrogé la nature, nous n’avons qu’un même mode de reconnaissance uniforme comme la taxe des lettres; c’est le triomphe le plus complet du niveau égalitaire. De même que la décoration de la Légion d’honneur récompense indifféremment tous les genres de mérite pour les vivans, ainsi la statue monumentale récompense également tous les genres de gloire pour les morts. De là cette abondance de bronzes ennuyeux et la plupart du temps sans caractère qui s’est abattue sur les places, les promenades, les marchés de nos villes, et qui, gagnant comme une épidémie, atteint jusqu’à nos villages, dont elle dépare la physionomie rustique et offense presque la simplicité. Rien de plus sec, de plus aride que l’éternel produit de cette contagion de la mode, ce lourd bonhomme de bronze toujours perché sur son socle de pierre dans la même invariable attitude, et qui d’ordinaire ne s’harmonise en rien avec le cadre d’édifices ou de constructions qui l’entoure. Si cette mode se bornait à être la stérilité même, le mal serait encore supportable; mais, non contente de laisser l’art infécond, elle le dénature encore très souvent, et sans mauvaises intentions d’ailleurs commet les contre-sens les plus variés contre les règles les plus élémentaires du goût. Je prends un exemple. Le bon sens de l’imagination, car l’imagination a son bon sens qui lui est propre, indique tout de suite que tous ces morts illustres ne devraient pas être honorés de la même manière, non-seulement à cause de la diversité de leurs mérites et de leurs services, mais à cause même des différences de leurs personnes physiques. Il se peut très bien faire en effet que la personne physique du grand homme dont il s’agit de reproduire l’image ne réponde en rien aux conditions de la sculpture monumentale; or, dans ces cas-là, n’est-il pas à craindre que la récompense tourne involontairement à l’épigramme? La ville d’Étampes a élevé une statue à Geoffroy Saint-Hilaire, le célèbre rival de Cuvier, et certes il faut convenir que, si la statue monumentale doit être uniformément la récompense de tous les genres de gloire, peu d’hommes méritaient mieux un tel honneur. Cependant, si l’on eût interrogé auparavant la personne physique de Geoffroy Saint-Hilaire, peut-être se serait-on abstenu. Le sculp-