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dis-je, qui m’ait replacé par analogie dans le milieu des événemens contemporains; mais dans toutes les autres parties quel trésor de paix profonde, de calme enthousiasme, de rêveries sérieuses, m’ouvrait ce beau livre ! Quels trésors aussi d’indifférence morale et de désintéressement dédaigneux ! car que sont toutes nos pauvres révolutions du temps et du lieu à côté de ces révolutions de l’éternité et de l’infini dont le philosophe déroulait le tableau devant mon esprit?

Les dispositions générales de l’habitation de Montbard n’ont pas changé depuis Buffon. Le modeste parterre qui l’accompagne est encore à peu près tel qu’il existait au xviii-siècle. Rien non plus n’a été changé dans le parc, cadeau de Louis XV, qui fait suite à ce parterre. Vu de la grille extérieure, ce parc paraît immense, et cependant il est vraiment petit; il a cela de particulier qu’on peut s’y égarer et s’y perdre en tournant pour ainsi dire sur place, tant l’espace a été bien ménagé, et les allées disposées avec intelligence. Sans s’éloigner de plus de dix pas de son cabinet de travail, Buffon pouvait s’y créer une promenade aussi solitaire que s’il était allé la chercher à un kilomètre. Ceux qui m’ont précédé à Montbard et qui prétendent avoir trouvé le cabinet de travail dans l’état où il était du temps de Buffon ont été plus favorisés que moi; je n’y ai trouvé que les quatre murs nus. Ce cabinet est placé dans le parc même, et domine une campagne d’une assez imposante étendue. Des peupliers plantés au-dessous, dans une propriété limitrophe, élèvent jusqu’à la hauteur de la fenêtre leur cime d’un vert tendre; mais ces peupliers ne gênaient pas la vue du philosophe et ne troublaient pas de leur frémissement le cours de ses méditations, car ils ne furent plantés que dans les dernières années de sa vie. A l’extrémité du parc s’élève encore la tour, débris du château de Montbard acheté par Buffon et démoli pour l’agrandissement de son parc; cette tour fut conservée par lui comme une manière d’observatoire et de belvédère. En contemplant de son sommet le paysage agréablement austère qu’elle domine, je me suis pris à penser qu’il y avait une analogie vraiment étroite entre le caractère général du paysage bourguignon et le caractère du génie descriptif de Buffon. Il n’est pas impossible que la contemplation assidue de la nature bourguignonne ait fini par lui donner les deux qualités dominantes de sa forme, la constante élévation et l’ampleur. Il y a en effet dans le spectacle de la campagne onduleuse et régulièrement accidentée de la Bourgogne une sorte de vertu d’exhaussement qui porte l’âme jusqu’à une noble moyenne d’élévation dont elle ne la force jamais à descendre par des brusqueries, des défaillances, ou de soudains changemens à vue. Comme ces collines sont sans caprice, l’é-