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cette admiration incommode, l’anachorète se fit construire au milieu de son enclos un énorme pilier de trente-six coudées de haut et de deux coudées de diamètre, environ trois de nos pieds en largeur. Au-dessus il plaça une cellule sans toit, ouverte à toutes les intempéries des saisons, à l’ardeur torride du soleil comme aux orages et au froid. L’espace qui formait le plancher de la cellule étant trop étroit pour qu’on pût s’y étendre tout de son long, Siméon dormait debout, le dos appuyé contre un poteau auquel il s’attachait lui-même avec une corde pour ne point choir. Un jour les vents enlevèrent la porte, ainsi qu’une partie des murs de la cellule, et on put depuis lors l’apercevoir de la campagne courbé jour et nuit sur lui-même et les bras levés vers le ciel. Le peu de nourriture que l’anachorète acceptait de la charité publique lui était porté au moyen d’une échelle qu’il faisait enlever ensuite pour rester dans un isolement complet de la terre et, comme il le supposait, plus près de Dieu. C’était aussi par cette échelle que les rares consultans qu’il daignait recevoir et entendre parvenaient à sa cellule. Beaucoup sollicitaient cet honneur, peu l’obtenaient, et les foules qui s’amassaient au-dessous de sa colonne devaient se contenter de quelques exhortations données d’en haut et de sa bénédiction. Les plus grands personnages se déguisaient parfois pour l’approcher, témoin l’empereur Marcien, à ce qu’on prétend. Les barbares en faisaient autant, et l’on rapporte qu’un phylarque sarrasin qui n’avait point d’enfans dut à ses prières la fécondité de sa femme favorite. Une multitude de Persans, d’Éthiopiens, d’Arabes, accouraient chaque jour pour le contempler sur son pilier, et s’en retournaient heureux de l’avoir entrevu ; en un mot, le stylite Siméon était devenu la merveille et presque l’adoration de tout l’Orient.

Cet homme simple et d’un grand sens, dont les conseils réussissaient et les prévisions s’accomplissaient presque toujours, qui, n’ayant besoin de rien parmi les hommes, semblait porter dans leurs affaires un esprit supérieur à l’humanité, fut celui que l’impératrice Eudocie voulut consulter dans son infortune. « Comment, lui disait-elle dans une lettre que le chorévêque lui remit, comment ai-je pu allumer à ce point contre moi la vengeance divine, et que dois-je faire pour obtenir qu’elle se détourne ? » Siméon accueillit le messager avec bienveillance, et le chargea d’une réponse ainsi conçue : « Sache, ô ma fille, que le diable, voyant les richesses de ta vertu, t’a demandée au Seigneur pour te cribler comme le froment. Le misérable Théodosius est devenu le vase et l’instrument de la tentation, pour offusquer de ténèbres ton âme aimant Dieu, et y jeter le trouble ; mais prends confiance, ta foi ne défaillera pas. Au reste, je suis grandement émerveillé qu’ayant près de toi la source