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élevé au-dessus de toute compétition, entièrement libre de lui-même et maître de la France ! Jamais le césarisme ne s’était donné une tâche plus vaste ni plus haute, jamais il ne s’était autant flatté de s’imposer par la grandeur et les bienfaits de son œuvre.

A l’aide de la politique de nationalités se trouvaient réconciliés les deux termes du mandat contradictoire donné par la France au second empire comme au premier, la paix et la gloire, le repos intérieur et l’influence à l’étranger. La guerre devait asseoir la paix, les batailles impériales conquérir le repos du monde. Par là, la devise du début, l’empire c’est la paix, redevenait vraie dans un sens plus élevé. Ce n’était plus une paix précaire, empirique, une paix armée, contenant en soi tous les germes de la guerre et en coûtant tout le prix ; c’était la paix rêvée par Henri IV, une paix définitive, absolue, générale, que l’idée napoléonienne promettait à la France et à l’Europe[1]. Grâce à cette même politique de nationalité, les suffrages venus à l’empire des deux pôles opposés, des démocrates et des conservateurs, allaient être également payés, et par cette double satisfaction la dynastie de décembre consolidée. Les démocrates devaient se réjouir du triomphe de la révolution dans la victoire de la nationalité sur la légitimité, les conservateurs se féliciter de la pacification des peuples révolutionnaires, ramenés à l’ordre par la satisfaction de leur instinct national. Ainsi au dehors comme au dedans, l’idée napoléonienne demeurait fidèle à sa vocation primitive ; elle résolvait le grand problème de tous nos gouvernemens, l’apaisement de la révolution par le triomphe des principes de la révolution.

L’exécution du plan de Henri IV à l’aide du principe de nationalité et au profit de la grandeur de la France, voilà quel était le rêve dont avait été nourrie l’imagination de Louis-Napoléon. A Sainte-Hélène, l’homme qui avait le plus aimé le jeu des batailles s’était épris de l’éternelle vision des grands esprits de tous les temps, la paix perpétuelle. Avec le principe de nationalité, le vieux rêve semblait n’être plus une vide chimère. Cette idée, léguée par Napoléon à l’Europe et à sa famille, germa aisément dans l’esprit songeur et enclin à l’utopie de son neveu ; elle y prit corps, et vint s’y associer à des souvenirs et à des ambitions peu en harmonie avec elle, dans des plans où la grandeur des Bonaparte se combinait avec les théories humanitaires. — Les peuples distribués selon leurs instincts et leurs besoins, chacun appartenant à la patrie qu’il se donne, chacun pourvu d’institutions à la fois stables et démocratiques, se livrant tous à l’envi aux travaux d’une civilisation industrielle destinée à transformer le monde ; l’Europe libre dans ses nations diverses,

  1. Œuvres de Napoléon III. — Mélanges. — La Paix, t. II, p. 42.