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hurt under your arm ; — que le diable vous emporte ! j’ai été frappé pendant que vous cherchiez à nous séparer. »

De semblables dispositions ne nous présageaient pas évidemment un accueil empressé. Je n’en fus pas moins très surpris quand une notification officielle vint m’apprendre que l’Autriche avait divisé ses ports en deux classes : les ports militaires, tels que Cattaro et Pola, où sous aucun prétexte les navires de guerre ne devaient être admis, les rades fortifiées, où ces mêmes navires ne pouvaient s’arrêter, s’ils n’y étaient contraints par quelque grave avarie. C’était en termes polis nous inviter à vider les lieux. Heureusement, avant d’insister, on eut l’excellente idée d’en référer à la cour de Vienne. La cour envoya l’ordre de nous laisser tranquilles ; cependant elle fit en même temps partir un bataillon de Pesth pour renforcer à tout événement la garnison de Raguse.

Ces ombrages et ces démonstrations nous auraient peut-être paru peu dignes d’une grande puissance, mais l’aspect des choses ne tarda pas à changer. Le général qui commandait « le cercle de Raguse, » un des plus charmans esprits que j’aie rencontrés sur ma route, était absent au moment de notre arrivée. Il s’empressa de venir reprendre son poste, et nos rapports se trouvèrent bientôt établis sur le pied de la plus intime confiance. Les vues de nos deux gouvernemens dans la question qui avait motivé l’envoi d’une division française à Raguse ne pouvaient pas aussi facilement s’accorder. L’Autriche est une puissance slave presque au même degré qu’une puissance allemande. Malheureusement pour elle, parmi ses sujets slaves, un grand nombre appartient à la religion orthodoxe. Ceux-là se trouvent rattachés par un lien bien plus fort qu’on ne pense à l’empire des tsars. Pour ces populations, que le schisme a conquises dès le XIVe siècle, l’Autrichien n’est qu’un compatriote, le Grec orthodoxe est un frère. Au moment de la guerre de Crimée, les Croates ne firent aucun mystère de leurs sympathies ; on les vit manifester très hautement la répugnance qu’ils éprouveraient à prendre les armes contre le défenseur des croyances qui leur sont chères. Si l’Autriche rencontre de pareilles tendances chez les populations de son propre empire, que doit-elle attendre de celles qui aspirent à se détacher de l’empire ottoman ! Elle est la protectrice naturelle de tous les chrétiens catholiques, mais en Turquie les chrétiens de cette communion sont infiniment moins nombreux que les autres. Plus opprimés par les Grecs orthodoxes qu’ils ne pourraient l’être par les Turcs eux-mêmes, ils forment dans les provinces occidentales des états du sultan une minorité infime, timide, misérable, objet de la plus injuste animadversion. La haine que les schismatiques leur portent s’étend à leurs protecteurs. L’Autriche a donc grand intérêt à maintenir en Turquie le statu quo.