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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/588

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oublié leurs griefs contre ce brave petit peuple qui venait de venger si bien la chrétienté. Ils auraient voulu le soutenir à outrance, peut-être même le pousser en avant, au lieu de l’apaiser.

Le sultan cependant était parvenu à intéresser la diplomatie à sa cause. Il promettait de ne pas violer la trêve qu’on l’avait contraint d’accepter, de ne rien entreprendre contre le Monténégro ; il demandait seulement à circonscrire l’incendie en faisant passer des troupes dans l’Herzégovine. L’Autriche lui offrait ses ports pour le débarquement. La prétention de la Porte était juste. Il y avait deux questions très distinctes : celle du Monténégro, dont les puissances protectrices se refusaient à laisser menacer l’existence, celle des uscoques, dont la soumission ne devait plus être retardée. Pour résoudre ces deux questions d’un seul coup, il suffisait de fixer les limites du Monténégro. Le principe de la délimitation admis par la Porte, on pouvait l’autoriser sans crainte à augmenter l’effectif de ses troupes. On était bien certain qu’elle n’empiéterait pas sur un territoire solennellement soustrait à son autorité. De son côté, le Monténégro aurait tout intérêt d’ajourner ses prétentions pour se saisir de l’importante concession qui lui était offerte. Le Monténégro n’avait jamais admis, il est vrai, le moindre lien de vassalité entre Cettigné et Constantinople. Ce n’en était pas moins un étrange phénomène que cette autonomie microscopique tolérée par les deux grandes puissances qui l’enserraient. Vivre désormais sous la garantie de l’Europe, avoir une existence officiellement reconnue, était pour le Monténégro un incalculable avantage. Le prince Danilo le comprit, et tous ses efforts tendirent dès ce jour à calmer l’excitation, qui avait été jusque-là son meilleur allié.

Quand les conquérans sont devenus les plus faibles, il leur sert peu d’invoquer les droits de la conquête. Les Herzégoviniens, les Bosniaques, avaient enfin appris à mépriser ces maîtres sous lesquels ils avaient longtemps tremblé. Les persécutions, les avanies, dont ils n’avaient jamais cessé d’être l’objet, leur semblaient d’autant plus odieuses qu’il ne leur aurait fallu qu’un effort vigoureux pour s’en affranchir. A chaque instant, quelque explosion soudaine venait nous rappeler des haines implacables et conseiller à la diplomatie de se hâter. Dans le courant du mois de juillet, les chefs insurgés de l’Herzégovine, cédant aux exhortations des consuls, obéissant surtout aux invitations péremptoires du prince Danilo, se résignèrent à faire leur soumission. De leur côté, les grandes puissances signataires du traité de Paris envoyèrent à Raguse une commission chargée de procéder à la délimitation du Monténégro. Un mois auparavant, j’avais fait le voyage de Cettigné ; j’y avais vu le prince, je m’étais assuré de l’immense ascendant qu’il exerçait sur son peuple, et je n’avais pas craint de me rendre garant de son