Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monstrueux, la monstruosité criminelle que certains hommes très scélérats, poussant l’audace aux dernières limites, ont commis contre la personne de Boniface VIII, de bonne mémoire. » L’attentat était raconté en un style où se mêlaient l’imitation de la Bible et celle de Cicéron. « Voilà ce qui s’est fait ouvertement, publiquement, notoirement et devant nos yeux. Lèse-majesté, crime d’état, sacrilège, violation de la loi Julia de vi publica, de la loi Cornelia sur les sicaires, séquestration de personnes, rapine, vol, félonie, tous les crimes à la fois ! Nous en restâmes stupéfiés ! Quel homme, si cruel qu’il soit, pourrait ici retenir ses larmes ? quel cœur dur ne serait attendri ? O crime au-dessus de toute expiation ! ô forfait inouï ! O malheureuse Anagni, qui as souffert que de telles choses s’accomplissent dans ton sein ! Que la rosée et la pluie ne tombent jamais sur toi ! qu’elles tombent sur les montagnes qui t’environnent ; mais toi, qu’elles passent sur ta colline maudite sans l’arroser ! O misérables qui n’avez pas imité David, lequel refusa d’étendre la main sur son rival, sur son ennemi, bien plus, qui fit frapper de l’épée ceux qui l’osèrent ! Nous l’imiterons, nous autres, en ce point, parce qu’il est écrit : « Ne touchez pas à mes christs ! » O douleur affreuse, fait lamentable, pernicieux exemple, mal inexpiable, honte sans égale ! Église, entonne un chant de deuil, que des larmes arrosent ton visage, que, pour aider à une juste vengeance, tes fils viennent de loin, tes filles se lèvent à tes côtés ! »

La situation de Nogaret était des plus critiques. Le pape Benoît trompait toutes ses espérances ; le pontife reparaissait peu à peu derrière le moine timide. Nogaret vit qu’il fallait empêcher à tout prix que l’assignation de la bulle Flagitiosum scelus n’eût son effet. Il refusa de comparaître ; le 25 juin, il vint se mettre sous la protection du roi. La procédure cependant suivait son cours à Pérouse ; la condamnation était inévitable, quand une seconde fois la mort vint visiter la demeure papale à point nommé pour les intérêts de Nogaret. Plus tard, nous le verrons soutenir que ce fut là un miracle. A l’en croire, la sentence était prête, les échafauds étaient dressés et ornés de tentures en drap d’or, le peuple était rassemblé de grand matin sur la place de Pérouse pour assister au sermon qui précédait l’acte de foi, quand Dieu frappa le pape d’un mal subit, pour le punir d’avoir osé défendre l’hérétique Boniface, et pour l’empêcher de prononcer une sentence injuste. Ce qu’il y a de sûr, c’est que Benoît mourut à Pérouse le 7 juillet. On crut qu’il avait été empoisonné, et les soupçons se portèrent sur ceux qui avaient un si grand intérêt à sa mort, nommément sur Nogaret et sur Sciarra Colonna.

Il n’est pas probable que Nogaret ait été directement l’auteur de