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restitués à leur vrai maître. Les collectes se feront par collecteurs idoines, qui remettront le tout au roi.

On amènera de gré ou de force les Tartares et les autres nations orientales, de même que les Grecs, à préparer la croisade. Quant aux villes telles que Venise, Gênes, Pise et autres républiques, « il faut prendre des moyens efficaces pour qu’elles ne soient pas un empêchement à l’entreprise, comme elles le sont aujourd’hui par leur cupidité, et pour qu’elles prêtent sans feinte à l’œuvre de Dieu un concours clair et certain ; autrement, il faudrait commencer par elles[1]. »

Il est remarquable que le pape n’est nommé que dans le titre de ce singulier document ; partout ailleurs, il n’est question que « du roi et de l’église. » La fiscalité de Philippe, son ambition démesurée se montrent avec naïveté dans ce projet de monarchie universelle fondée sur l’absorption de l’église par la royauté et sur l’enlèvement de la papauté à l’Italie. L’insistance avec laquelle les publicistes de Philippe le Bel conseillent l’établissement de la paix entre les princes chrétiens perd elle-même beaucoup de son mérite, quand on songe que, dans leur pensée, la paix doit toujours se faire au profit du roi, et que les ministres de Philippe, en prêchant cette idée, ont surtout en vue de faire intervenir le pouvoir ecclésiastique pour réduire, par des anathèmes, les Flamands révoltés.

Un christianisme sincère était-il au fond de tout cela ; ou bien faut-il y voir une manœuvre hypocrite d’avides financiers ? Les deux explications ont sans doute à la fois leur vérité. Hors de l’Italie, à cette date, il n’y avait probablement pas un seul incrédule. Le roi Philippe IV, personnellement, était un homme très pieux, un croyant austère, moins éloigné qu’on le croit (sauf la bonté) de son aïeul saint Louis. Il est une piété qui ne répugne pas à faire servir la religion à des intérêts mondains ; ce fut là un des traits caractéristiques des Capétiens de la deuxième moitié du XIIIe siècle, princes qui ont beaucoup d’analogie avec Philippe II d’Espagne. La politique de Philippe le Bel et de ses ministres peut être définie une vaste tentative pour exploiter l’église au profit de la royauté, et pourtant Philippe et ses ministres purent très réellement s’imaginer être chrétiens.

Nous avons vu que Nogaret fut chargé de la garde du sceau royal le 22 septembre 1307. On s’est appuyé, pour prétendre que Nogaret fut chancelier dès 1302 et 1303, sur un rôle des membres du parlement, dans lequel figure en tête des onze clercs « messire Guillaume de Nogaret, qui porte le grand scel. » Dom Vaissète montre très bien que le rôle en question ne peut être antérieur à la Trinité de l’an 1306, et que même il est postérieur au 22 septembre

  1. Quin. potius videretur incipiendum ab eis.