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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/645

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— Chère mère, c’est Harry Henderson.

— M. Henderson ! Eh bien ! sa conduite n’est rien moins que loyale, car je l’avais prévenu de vos relations avec M. Sydney.

— Oui, ma mère ; vous lui aviez dit que j’étais engagée avec M. Sydney, et moi je lui ai déclaré que je ne l’étais pas, que je ne le serais jamais. Il est loyal autant qu’homme au monde. Après cette conversation que vous eûtes avec lui, il m’évita longtemps. J’en étais malheureuse, et il était malheureux de son côté ; mais cette après-midi nous nous sommes rencontrés par hasard dans le parc, j’ai insisté pour connaître la raison de son absence, j’ai tout compris… Maintenant nous nous entendons parfaitement, et rien ne peut plus nous séparer. Ma mère, j’irais avec lui au bout du monde ; il n’est rien que je ne me sente capable de faire pour lui, et je suis fière de l’aimer comme je l’aime.

L’amour en effet prête à Éva toute la force de volonté qui lui manquait jusque-là ; en vain Mme Van Arsdel insiste sur la pauvreté de Harry Henderson et lui vante le luxe dont serait entourée Mme Wat Sydney : elle trouve réplique à tout. Du luxe, son père lui en donne ; elle a tous les bijoux qu’elle peut désirer, et, si elle se marie, c’est un compagnon de son goût qu’elle veut. — Dites-moi, maman, mon père était-il riche quand vous l’avez épousé ? Non, vous avez eu à vivre très simplement et à travailler durant les premières années de votre mariage ; je ferai comme vous.

La mère, forcée dans ses derniers retranchemens, se décide à confier à sa fille que la fortune de M. Van Arsdel est fort exposée, sans que personne le sache encore, dans de colossales, spéculations. Éva peut le sauver, mais, malgré toute sa tendresse filiale, elle trouverait aussi criminel de jurer devant l’autel un faux amour pour tirer ses parens de peine que de faire dans cette intention un faux billet. Les prières comme les remontrances la laissent donc inébranlable. Harry, de son côté, tente une démarche auprès de M. Van Arsdel, qui le reçoit sèchement. — Monsieur, j’aime votre fille, j’ai son autorisation pour vous demander sa main.

Van Arsdel retira ses lunettes et les essuya d’un air délibéré, tout en parlant. — Monsieur Henderson, j’ai toujours eu pour vous beaucoup d’estime, mais j’avoue que je ne sais pas pourquoi je vous donnerais ma fille.

— Simplement, monsieur, parce que, dans l’ordre de la nature, il faut que vous la donniez à quelqu’un, et que j’ai l’honneur d’être choisi par elle.

— Éva eût pu trouver un meilleur parti, du moins sa mère le croit.

— Je sais que Mlle Van Arsdel aurait pu épouser un homme plus