Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

200 millions de dollars, capital fictif dont les actionnaires versèrent en définitive à peine la dixième partie. Ceci n’était qu’une médiocre ressource, et l’argent devait s’obtenir par d’autres procédés. Il y avait d’abord la subvention du congrès fédéral, montant à 30,000 dollars par mille, puis des obligations émises pour la même somme par première hypothèque sur les travaux à exécuter, puis les concessions gratuites de terrains que l’on revendait aux colons, puis les subventions des états et des villes, ou plutôt les bons de papier que les états et les villes souscrivaient, à défaut d’argent comptant, au profit de la compagnie, — enfin, pour dernière ressource, les produits nets des premières sections ouvertes que l’on appliquait aux travaux en cours d’exécution au lieu de les distribuer aux actionnaires. Les hommes de valeur et d’initiative sont rares dans l’ouest ; aussi retrouvait-on toujours les mêmes individus dans chaque opération de la grande compagnie du Pacifique. Membres du congrès, ils votaient les subsides ; banquiers à New-York, ils négociaient les actions et les obligations des états, ou des villes ; directeurs, ils ordonnaient les travaux ; entrepreneurs dans les plaines du far-west, ils les exécutaient eux-mêmes. A la fin de 1870, la compagnie du Pacifique exploitait 3,450 kilomètres de chemin de fer, et elle était débitrice de 240 millions de dollars ; mais elle tenait encore en caisse plus de la moitié de ses actions, réserve importante qu’elle négociera quand ses directeurs jugeront le moment opportun pour réaliser quelque énorme profit.

Aux États-Unis, la propriété des chemins de fer est perpétuelle. Les voies de communication ne retombent pas, comme en France, dans le domaine public au bout d’une période de jouissance déterminée. Aussi l’exagération du capital fictif est-elle un mal dont le pays sentira plus tard la fâcheuse influence sous forme de tarifs exorbitans. Il est impossible au surplus de dire où s’arrêtera le stock watering. On a calculé, d’après des données certaines, que, du 1er juillet 1867 au 1er mai 1869, en un peu moins de deux ans, vingt-huit compagnies de chemins de fer avaient élevé leur capital de 287 millions à 400 millions de dollars, soit une augmentation de 40 pour 100. En l’état actuel, les bénéfices nets de l’exploitation ne donnent aux actions qu’un revenu médiocre, du moins par comparaison avec les autres branches de l’industrie américaine. Si dans la Pensylvanie les chemins de fer rapportent 8,3 pour 100, et dans le New-York 7,5, le revenu s’abaisse à 4,8 dans l’Ohio. Le rapport de toutes les voies exploitées en 1870 était évalué à 450 millions de dollars, dont 150 millions de produit net. Ici encore, nous avons sous les yeux des chiffres prodigieux. Ce sont de simples particuliers qui disposent de ces sommes