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IV

Ceux qui croient le moins aux dangers que court désormais l’indépendance nationale de la Hollande sont les Allemands honnêtes, qui ne veulent pas admettre que la Prusse puisse commettre un acte aussi évidemment injuste, — sauf à trouver admirable le prétexte qu’il lui plaira de mettre en avant pour se justifier, quand elle en éprouvera le besoin, — et ces Hollandais dont M. Pierson a cru nécessaire de troubler la placidité un peu myope. Partout ailleurs en Europe on sent que la position de cet intéressant petit pays est devenue critique. Il est vrai que jusqu’à un certain point la Prusse aurait le droit de protester contre des soupçons qu’aucun fait palpable jusqu’à présent n’autorise. Si de plus on fait entrer en ligne de compte que la politique commerciale très libérale du gouvernement hollandais n’apporte aucune entrave sérieuse au trafic international, on devra éliminer des chances de conflit l’un des plus actifs stimulans qui puissent pousser un peuple à faire bon marché de l’indépendance d’un voisin plus faible. Enfin il faut reconnaître à la politique de la Prusse, comme à la tactique de ses généraux, le mérite de tenter bien rarement des entreprises que la prudence conseillerait d’ajourner. Serait-il prudent à elle de compromettre la consolidation de l’unité germanique en brusquant son extension sur un territoire habité par une population récalcitrante, et à laquelle l’Europe entière, bien qu’affaiblie, porterait de vives sympathies ?

Ces considérations seraient de nature à confirmer les optimistes dans leur sécurité ; mais est-il possible de négliger le revers des médailles ? La Prusse a-t-elle le droit qu’on la croie sur parole quand elle proteste de l’innocence de ses intentions ? Assurément ce n’est pas en France que nous nous sentirions très rassurés par les certificats de probité politique dont la Prusse se gratifierait elle-même. D’autre part, quelque libéral que soit un régime commercial établi entre deux pays indépendans, rien n’équivaut pourtant à l’unité de législation, de douanes, de monnaie, de mesures, et il faut s’attendre à ce que plus d’une voix s’élèvera en Allemagne pour démontrer les avantages que la Hollande retirerait de son entrée dans le Zollverein. La Bavière, la Saxe, le Wurtemberg, ne s’en sont-ils pas trouvés à merveille ? Enfin, s’il y a des Allemands qui ne songent pas à l’annexion de la Hollande, il en est beaucoup d’autres qui y pensent très sérieusement, et qui s’abandonnent d’autant plus volontiers à cette espérance qu’ils ignorent la profonde répugnance qu’elle inspirerait aux Hollandais eux-mêmes. Si la prudence pouvait conseiller à la Prusse de borner ses ambitions, est-il certain