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procès de Boniface ; il a seulement demandé au pape de donner audience à Nogaret et à Plaisian qui annonçaient l’intention d’attaquer la mémoire du pape défunt. Les discussions ont eu lieu ; les défenseurs de Boniface se sont désistés spontanément de leur défense. Le pape accepte cet état de choses ; cependant son premier devoir étant de ne laisser sans enquête aucune accusation contre la foi, il proroge l’enquête testimoniale pour et contre la mémoire de Boniface. Sans doute l’accusation ne voulait pas laisser croire que c’était elle qui se désistait ni qu’elle abandonnât la vaste instruction qu’elle avait commencée.

Tolomé de Lucques, qui raconte très exactement l’accord qu’on vient de lire, ajoute : « les ambassadeurs du roi donnèrent à la curie du pape 100,000 florins en récompense des peines qu’elle s’était données en cette affaire. » La vénalité de la cour d’Avignon donna en effet occasion aux bruits les plus défavorables. Le continuateur de Guillaume de Nangis veut que Nogaret n’ait obtenu l’absolution ad cautelam que parce qu’il constitua le pape son héritier. Le fait est entièrement faux, puisque nous connaissons le testament de Nogaret et que nous suivons les effets de ce testament sur sa postérité. Il faut reconnaître cependant qu’une autre autorité contemporaine, qui représente bien les bruits qui couraient alors dans la bourgeoisie un peu instruite de Paris, veut aussi que « les sous » aient eu leur part dans l’absolution de Nogaret. Voici les réflexions de ce contemporain, Geffroi de Paris ; on ne peut leur refuser beaucoup de finesse et d’esprit.

Et se ne fust le roy de France,
Autrement il fust avenu ;
Mès por le roy fu soustenu…
Biax sire diex ! qui vit trop voit.
Ainsi s’asolution prist
Du pape, cil qui tant mesprit,
Si com l’en dist, et fut assolz
Non pas por Dieu, mès por les solz ;
Et assez brief fut son rapel,
Et n’i lessa rien de sa pel…
Cil à cui l’en tient le menton
Souef noe[1], ce me dit-on ;
Por ce noa il si souef ;
Car il avoit et queue et clef ;
Le roy queue est de la paële,
Et la clef si est l’apostoile.

La vraie, l’unique cause qui sauva Nogaret fut la protection de Philippe. Philippe avait obtenu la plus grande concession que jamais souverain ait tirée de la cour de Rome. De son côté, Clément

  1. Celui à qui on tient le menton nage doucement.