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Quoiqu’il n’aime guère les vaincus, il nous avoue qu’il ne peut se séparer de celui-là sans émotion ; mais cette sympathie ne va pas jusqu’à trouver un seul mot de blâme contre César lorsqu’il le fait lâchement tuer ; elle ne l’empêche pas non plus de remarquer qu’il y eut dans le chef arverne plus de chevalerie que d’héroïsme véritable, et de dire à la fin du portrait qu’il en a tracé : « N’est-ce point là le vrai caractère de la nation celte ? Son plus grand homme ne fut qu’un preux. » La nation celte est encore plus maltraitée quelques pages plus loin. Sa résistance à César, dont elle a le tort d’être fière, est fort amoindrie. Selon M. Mommsen, elle ne fut énergique que dans quelques clans isolés, germains ou demi-germains pour la plupart. Quant aux Celtes véritables, ils ne surent pas faire la guerre de siège, ni la guerre de partisans, cette lutte suprême et populaire où s’affirme le sentiment profond de la nationalité. Comment auraient-ils été capables d’un effort puissant avec tous les défauts que M. Mommsen leur trouve ? À l’entendre, le Gaulois est crédule et gobe-mouche, il a la parole redondante de métaphores et d’hyperboles, il aime le cabaret et la rixe, « il est tout vantardise, » il provoque le danger éloigné, il s’effraie du danger présent, « il est absolument incapable de garder le solide courage qui ne connaît ni les témérités ni les faiblesses. » Voilà l’opinion que M. Mommsen a de lui, ou plutôt de nous, car il s’empresse de nous dire, ce qu’il était du reste très aisé de soupçonner, qu’il ne veut pas seulement dépeindre les Gaulois du temps de César. « Dans tous les temps, dans tous les lieux, vous les trouvez toujours semblables, faits de poésie et de sable mouvant, à la tête faible, aux impressions vives, avides de nouveautés et crédules, aimables et intelligens, mais dépourvus du génie politique. Leurs destinées n’ont pas varié : telles elles furent autrefois, telles elles sont aujourd’hui. »

Les préoccupations patriotiques de M. Mommsen se montrent souvent aussi dans les chapitres qu’il consacre à l’histoire littéraire de Rome. Il est en général très sévère pour la littérature romaine, et ce qui explique sa sévérité, c’est qu’en la frappant c’est ordinairement nous qu’il veut atteindre. Il a des raisons sérieuses de nous en vouloir. Un Allemand de nos jours ne peut guère nous pardonner la séduction que nos grands écrivains ont exercée sur ses pères. Il y eut donc un temps où l’on ne lisait en Allemagne que Voltaire et Rousseau, où les poètes de ce pays prédestiné, oubliant qu’ils ont reçu du ciel un privilège spécial pour la poésie, se mettaient à la remorque des nôtres, et se contentaient de les traduire ou de les imiter ! M. Mommsen ne peut vraiment pas comprendre que ses compatriotes se soient jamais réduits aux « tristes pis-aller de la culture française, » et c’est sans doute pour leur en faire honte,