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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/821

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l’absolutisme. Pourquoi M. Mommsen, contrairement à ses principes, le condamne-t-il sans rémission à périr ? Les constitutions antiques ne se sont jamais élevées jusqu’au régime représentatif, elles n’ont pas pu passer complètement de la cité à l’état véritable : c’est leur grande imperfection, mais elles pouvaient au moins s’en approcher par des réformes successives, et M. Mommsen constate lui-même que les innovations de Sylla étaient en ce sens un progrès important. Il est seulement très probable que ces réformes auraient été lentes, incomplètes, et il faut à l’esprit absolu de M. Mommsen des révolutions radicales et rapides. Aussi décourage-t-il sans pitié tous les essais qu’on pourra tenter à Rome pour accommoder ensemble l’ordre et la liberté ; il les déclare d’avance impuissans et somme les Romains de choisir au plus tôt entre l’anarchie et le despotisme. Pour lui, son choix est fait. Non seulement il se résigne vite au césarisme, mais il lui fait un très bon accueil. Il est impatient de le voir venir, il le salue, quand enfin il arrive, de véritables cris de triomphe, il exalte ceux qui consentirent à le servir, et il accable de ses invectives les honnêtes gens qui aimèrent mieux mourir que de le supporter. — Il faut avouer que, si M. Mommsen est libéral comme il le dit, son libéralisme au moins est fort accommodant.

Voici ce qui surprend plus encore. S’il est vrai de prétendre que la république était inévitablement perdue et que le césarisme seul pouvait sauver Rome, au moins convenait-il d’attendre que le malade fût tout à fait désespéré pour lui appliquer ce terrible remède. Un libéral, comme M. Mommsen se pique de l’être, se devait à lui-même de ne condamner un pays à la servitude politique que lorsqu’il serait parfaitement constaté qu’il était arrivé à sa dernière heure, et que la liberté était tout à fait, impuissante à le guérir ; mais non, dès le premier symptôme M. Mommsen déclare que tout est fini. Au Ve siècle de son histoire, Rome semble pleine de force et de santé. Elle vient de vaincre Carthage, elle commence la conquête de l’Orient. Tout l’univers a les yeux sur elle. Elle fait l’admiration d’un des plus fermes génies de l’antiquité, de Polybe, qui la visite et l’étudie de près en ce moment, et qui trouve sa constitution la plus parfaite de toutes celles de l’ancien monde. M. Mommsen est moins satisfait et plus perspicace que Polybe. Cette prospérité apparente ne l’éblouit pas, et il aperçoit les signes précurseurs de la ruine prochaine. « L’orage n’a pas éclaté encore, mais déjà s’amoncellent et s’épaississent les nuages, et les premiers coups de tonnerre retentissent dans un ciel brûlant. » C’en est assez pour effrayer M. Mommsen. Il s’empresse aussitôt de recommander aux Romains, afin d’éviter la tempête, de se mettre sous l’abri que leur