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moraux au sein de la famille même, manifestés par l’oppression et l’arbitraire, la froideur ou l’hostilité, inconvéniens économiques par l’abus de la mainmorte. Le principal tort du système, qui explique les autres, est d’être en contradiction avec la liberté individuelle, c’est-à-dire, l’auteur le reconnaît, avec le principe a sur lequel se fondent aujourd’hui des constitutions plus fécondes et non moins stables que celles de l’ancien régime. »

Le même élément de contrainte règne dans le partage égalitaire. L’auteur de l’Organisation, de la famille nous rappelle les origines révolutionnaires de ce régime, qui substitue les prescriptions uniformes de la loi à de libres arrangemens. Ce n’est pas, il le reconnaît aussi, que l’habitude du partage égalitaire date exclusivement de la révolution ; lui-même en montre les traces déjà profondes dans notre vieille société. Ainsi, entre autres exemples, l’égal partage était consacré par l’ancien régime de l’Ile-de-France et de l’Orléanais pour les bourgeois et les paysans, tandis que la conservation forcée y était employée à maintenir exclusivement les familles nobles. Au contraire, en Normandie et dans les provinces du centre et du midi, la transmission volontaire des biens ruraux aux aînés était l’usage commun des nobles, des bourgeois et des paysans. Si la révolution eût procédé avec intelligence dans l’emploi de la contrainte en vue du succès de ses idées, elle eût pu prendre le contre-pied de ce qu’elle a fait ; elle n’aurait établi le partage égal que pour les biens des nobles, en vue de les dissoudre, et eût soumis à la loi de la conservation forcée les biens ruraux moyens et petits, dont elle eût par là maintenu l’intégrité. C’est ainsi que le gouvernement russe s’y est pris pour amoindrir l’influence des grands propriétaires. Le partage forcé y est imposé à ces derniers, tandis que, d’après le régime qui a duré jusqu’à 1863, les paysans se transmettaient pour la plupart leurs biens dans un système de conservation forcée.

La révolution a déclaré à la liberté testamentaire une guerre à la fois de principes et de circonstance. En théorie, elle l’a niée souvent pour la remplacer par l’état. Elle s’en est défiée comme d’un instrument destiné à restaurer les privilèges de famille et de propriété ; elle a, ici comme plus d’une fois ailleurs, trop sacrifié la liberté à l’égalité. Notre loi de succession actuelle est loin de reproduire complètement les excès auxquels la révolution, à certains momens, s’est laissé emporter contre le testament. Par la-voix de quelques-uns de ses principaux organes, depuis Mirabeau jusqu’à Robespierre, elle est allée jusqu’à contester philosophiquement toute espèce de droit de tester, qu’elle aboutit à interdire par la loi du 7 mars 1793. C’était s’avancer infiniment plus loin que le décret du 8 avril 1791, qui, réglant seulement la succession