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Traité des Impôts en France par Édouard Vigner ; 2 vol. in-8o. Guillaumin.

En matière d’impôts, beaucoup de gens sont de l’avis de Voltaire, que la façon de les lever est cent fois plus onéreuse que le tribut même. D’autres soutiennent que l’impôt le meilleur est celui qui fait le moins crier. À cela se borne la science fiscale du plus grand nombre, si bien qu’au jour où l’état se trouve obligé de demander de plus fortes contributions aux fortunes privées, on voit surgir de toutes parts des projets bizarres, des combinaisons condamnées par l’expérience. Cependant il existe une science des impôts, qui a ses savans et ses professeurs, ses historiens et ses archéologues, ses croyans et ses hérétiques. Contenue d’abord dans des livres spéciaux, que l’on ne lit guère en temps ordinaire, cette science se manifeste dans les momens de crise, lorsque le public tout entier se voit forcé de porter son attention sur la législation fiscale du pays. À coup sûr, quiconque aura pris la peine de suivre les débats de l’assemblée législative depuis quelques mois, et en même temps les discussions souvent passionnées de la presse politique, aura appris non sans surprise combien le fisc a de ressources imprévues. Il y en a plus d’un parmi nous qui songeait avec tristesse, au lendemain du malheureux traité de 1871, que la France allait peut-être se voir réduite au rang des nations telles que l’Italie et l’Espagne, dont le budget se solde invariablement par le déficit. Et l’année est à peine écoulée que l’on discute déjà, non plus sur l’existence même de l’équilibre financier, mais simplement sur le choix entre deux ou trois moyens de l’obtenir.

Le Traité des impôts de M. Vigner nous initie au mécanisme singulier de notre organisation financière. Écrit à une époque où rien ne faisait prévoir un brusque soubresaut, cet ouvrage contient néanmoins l’exposé de toutes les doctrines qui sont aujourd’hui en discussion. La raison en est naturelle. Les économistes étaient persuadés depuis longtemps que les impôts devaient être remaniés par certains côtés. Les uns paraissaient injustes par leur assiette, d’autres exorbitans dans leurs tarifs. Pour modifier ce qui était défectueux ou abroger ce qui était mauvais, il fallait bien rechercher ce que l’on pouvait mettre à la place. C’est ainsi notamment que l’impôt sur le revenu était depuis longtemps l’objet d’un examen attentif, et les financiers les plus sages, écartant la forme la plus générale de cette nouvelle taxe, se ralliaient assez volontiers à l’impôt sur certains revenus qui, dans l’assemblée actuelle, a compté un grand nombre de partisans. Par malheur, comme le dît avec raison M. Vigner, on ne touche à la législation fiscale que dans les temps d’adversité, et alors c’est pour en tirer plus de ressources, au lieu de la rendre plus juste et plus modérée dans les époques prospères. Il est à croire qu’une étude habituelle de ces questions délicates favoriserait des réformes auxquelles nous sommes tous intéressés.


H. B.

C. BULOZ.