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ces plantes qui s’introduisent dans les murailles et qui enfin les renversent. » Son plan, dès ce moment arrêté, peut se résumer en deux mots : il voulait consolider son maître et s’élever lui-même en prenant un point d’appui solide dans la politique étrangère, briser avec ce levier tous les obstacles qui gênaient le pouvoir personnel du régent, et barraient ainsi à ses meilleurs amis la route des hauts emplois. Quand il partit pour Londres, à la fin de cette même année 1717, il ne perdit pas un seul instant de vue ce double but pendant les onze mois de son ambassade. Tout en négociant avec l’Europe la quadruple alliance, il complotait à Paris, avec ses affidés, les changemens qui allaient éclater dans le gouvernement en 1718 ; il était l’artisan invisible, l’inspirateur ardent et tenace d’une révolution intérieure dont il entendait bien recueillir les fruits. Ce double travail, poussé d’une main ferme au dedans et au dehors, cette combinaison qui unit dans un même dessein deux objets différens et frappe à la fois deux coups décisifs, voilà le côté nouveau, le sérieux intérêt de la seconde mission confiée à l’abbé Dubois. Nous insisterons, toujours à l’aide des pièces officielles, sur ce trait caractéristique d’une négociation encore moins connue que la précédente dans ses détails intimes et ses péripéties.


II

Dubois quitta Paris le 20 septembre 1717 pour achever à Londres ce qu’il avait commencé à La Haye. Pendant ce temps, le cardinal Albéroni, couvrant d’une armée de 60,000 hommes les côtes d’Espagne, lançait une flotte sur la Sicile : l’antagonisme des deux politiques était déclaré ; Dubois se trouvait en face d’un adversaire ambitieux et rusé comme lui, mais dont la ruse avait le prestige et l’audace de la force. La lettre de créance remise par le régent à son ambassadeur était ainsi conçue : « Monseigneur, il est si juste de concourir aux bonnes intentions de votre majesté pour la tranquillité de l’Europe, que j’envoie auprès d’elle l’abbé Dubois, à qui elle a eu la bonté de confier elle-même ses vues, pour conférer avec les ministres des princes qu’il serait important de réunir, et comme personne n’est plus instruit que lui de mes véritables sentimens, je suis ravi qu’il ait occasion de lui rendre compte de nouveau de mon attachement sincère et de mon zèle pour sa gloire et pour ses intérêts. » Une autre lettre adressée au prince de Galles, qui haïssait la France en haine de son père, lui demandait d’appuyer la politique de la paix, et lui rappelait « la proximité de sang qui l’unissait au régent, son très affectionné frère. »

Des incidens fâcheux traversèrent le voyage de notre ambassadeur. Près d’Amiens, les commis des fermes, sans respect pour sa