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lumière jeté en passant sur ces caricatures sanglantes où le fougueux duc a travesti son siècle et s’est travesti lui-même !

Tout servait aux desseins de l’ambassadeur, les amitiés littéraires aussi bien que les relations politiques. Il avait pour maxime que a rien n’est indifférent à qui sait faire usage de tout. » Nous l’avons vu écrire à Fontenelle ; il écrit à l’abbé de Targny, de l’Académie des Inscriptions, et lui demande comment on dit en latin secrétaire du cabinet du roi et du conseil des affaires étrangères. Il a pour correspondant assidu l’abbé de Saint-Pierre, qui, avant le voyage de Chavigny, lui envoyait des nouvelles de Paris. Une lettre de Dubois fera connaître le ton familier de cette correspondance. « Je m’aperçois terriblement, mon cher abbé, que vous m’avez abandonné, car je n’apprends plus rien de France. Tout autre que vous aurait droit d’exiger de moi des remercîmens fréquens ; mais un philosophe et un citoyen doivent agir sans aucun intérêt personnel, et combien de choses vous avez faites sans aucun retour de la part de ceux pour qui elles ont été faites ! Continuez donc à me mander ce qui se passe, avec vos réflexions et celles du public, sans souhaiter que je vous réponde. Parlez-moi comme on parle à Dieu, je ne vous promets pas une récompense éternelle, mais une reconnaissance qui ne finira point, et, si j’échoue dans ma négociation, j’ai dessein de rétablir mon honneur en faisant accepter l’arbitrage universel. » Si Dubois négligeait de répondre à ses amis, il n’oubliait pas leurs intérêts. Tout en négociant la quadruple alliance, il demandait au régent l’abbaye d’Euron pour l’auteur de la Paix perpétuelle.

Trop spirituel pour n’aimer pas les gens d’esprit, même un peu chimériques, on dirait qu’il a le pressentiment du rôle nouveau que le XVIIIe siècle réservait à la littérature. Au moment où Albéroni soulevait contre lui la légèreté parisienne, Dubois songeait à le combattre par le ridicule ; il eût voulu qu’une muse bien inspirée s’égayât aux dépens de l’éminence belliqueuse dans quelque joli vaudeville et mît les rieurs du bon côté. Il chargea M. Dubourg, à Vienne, d’en suggérer l’idée à Jean-Baptiste Rousseau, réfugié alors chez le prince Eugène, et de lui faire savoir le prix qu’il attachait à l’accomplissement de ce désir. « Je n’ai pas pu m’empêcher, monsieur, de souhaiter que dans Paris, où Albéroni a pris soin d’avoir tant d’émissaires, il fût rendu odieux et ridicule par quelque vaudeville que le sel et la gentillesse mît dans la bouche de tout le monde ; mais nous avons perdu le seul homme qui pût brocarder dignement ce faiseur de sauces, et vous l’avez à Vienne. Vous jugez bien que je parle de M. Rousseau. S’il voulait faire quelque chose qui pût être chanté dans Paris et qui fût bien frappé à son coin, il ferait une chose agréable à beaucoup de puissances, et peut-être