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lendemain, les journaux allemands qui passent pour avoir la faveur de la chancellerie de Berlin étaient les premiers à souffler sur la fantasmagorie du Daily Telegraph. Seulement ces journaux„ en démentant l’ultimatum, et les démonstrations menaçantes, reprenaient à leur tour le thème du journal anglais. Ils reprochaient à la France ses dépenses militaires exagérées, ses armemens faits pour éveiller les soupçons, ils accusaient la persistance de ses ressentimens contre l’Allemagne, ils lui faisaient un crime de trop se souvenir, ils voyaient, en M. Thiers un homme qui avait le tort, lui aussi, de céder à la passion populaire. En un mot, les journaux allemands reproduisaient avec des variations, la pensée qu’on attribuait à M. de Bismarck, si bien qu’on finissait par se demander si ce n’était pas encore l’ultimatum sous une autre forme, si toute cette stratégie de journaux marchant ensemble au même but ne constituait pas une campagne organisée pour exercer une certaine pression sur la France. On ne laissait pas d’avoir quelque doute, et, comme on voit partout ce qu’on a dans l’esprit, on s’est préoccupé de savoir si M. Thiers, en demandant à la rentrée de l’assemblée l’ajournement de la loi militaire, n’avait pas quelque raison de prudence et n’obéissait pas à quelque pressante considération de sûreté extérieure.

Eh bien ! non, il n’y avait rien. Si M. Thiers a demandé l’ajournement de la loi militaire, c’est tout simplement parce qu’il était indisposé, et en fin de compte la France n’a nullement à s’inquiéter, parce que l’Allemagne n’a aucun droit de sommation ou d’avertissement en dehors des questions par lesquelles les deux pays se touchent nécessairement et douloureusement. Quelle est en définitive la situation de la France vis-à-vis de l’Allemagne ? La France a signé une paix qu’elle respecte jusque dans ses conditions les plus cruelles, sans cesser d’être parfaitement libre d’en penser ce qui lui convient ; elle a une partie de son territoire occupée, et plus que jamais elle doit songer à délivrer ceux de ses départemens qui restent encore sous la domination étrangère, comme elle a délivré les autres ; elle a enfin 3 milliards à payer à l’Allemagne, et elle ne l’a pas oublié, elle ne l’oublie pas un instant. L’Allemagne, de son côté, a intérêt à être payée, et elle le sera certainement. Sur ce terrain, des négociations peuvent s’engager, et, selon toute apparence, c’est là un des plus sérieux objets de la mission du comte d’Arnim revenant aujourd’hui en France. Hors de là, chacun rentre dans son indépendance complète, dans la liberté de ses résolutions, de ses pensées et de ses sentimens.

Les relations générales de la France avec l’Allemagne restent toujours, nous en convenons, une des questions les plus graves et les plus délicates. Le meilleur moyen de les maintenir telles qu’elles doivent être, c’est de ne pas prétendre faire violence à la nature des choses. Il faut que les journaux allemands en prennent leur parti, la France a payé assez cher