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patronné, comme un ouvrage de haute édification. Quelle bonne fortune pour ses adversaires, qui ne manquèrent pas de dépeindre en cour de Rome l’archevêque d’Utrecht comme un hérétique, son diocèse comme un foyer de pestilence ! C’est depuis lors que dans le camp jésuite l’épiscopat néerlandais fut traité de janséniste. On vit là le moyen sûr d’indisposer toujours plus contre lui la cour de Rome. Le parti fut tellement pris qu’en 1670 les jésuites firent mettre à l’index un autre livre mystique, intitulé Amor pœnitens, d’un successeur de Rovenius, l’archevêque Neercassel, un livre que notre Bossuet, peu suspect de jansénisme pourtant et qui flairait de loin l’hérésie, avait proclamé excellent. Les évêques mis en cause protestaient de leur mieux contre cette accusation de jansénisme, condamnaient les mêmes thèses que l’on condamnait à Rome sous ce nom ; rien n’y faisait. La simple circonstance qu’ils ne consentaient pas à chasser de. l’église ceux qui sympathisaient plus complètement avec la tendance augustinienne suffisait pour qu’on les confondît avec eux. Le séjour d’Arnaud, de Nicole, de Quesnel en Hollande, où les reléguait l’intolérance de Louis XIV, l’accueil honorable et mérité fait à leurs malheurs et à leurs vertus, servirent encore d’argument aux ennemis jurés du diocèse d’Utrecht.

Ici se pose une question d’une importance majeure pour la claire intelligence de l’histoire du catholicisme dans les deux derniers siècles : quel est donc le motif secret de cet acharnement prolongé des jésuites contre la hiérarchie épiscopale de Hollande ? Comment ne craignirent-ils pas d’affaiblir encore le catholicisme dans un pays où il avait déjà subi tant de pertes irréparables ? Des blessures d’amour-propre, le désir de dominer partout, quelques nuances doctrinales n’expliqueraient pas suffisamment cette série de manœuvres, longtemps déjouées, toujours reprises, qui aboutirent enfin à une solution conforme à leurs vœux. En faisant toute la part qu’on voudra aux mobiles d’animosité personnelle, il faut probablement en chercher la raison profonde dans l’effroi que le mouvement janséniste inspira aux chefs de l’ultramontanisme pendant tout le XVIIe siècle et une grande partie du XVIIIe. Le jansénisme, ou la doctrine qui insistait sur la régénération intérieure par l’effet de la grâce divine comme condition essentielle de salut, était un protestantisme latent. S’il ne niait pas le pouvoir sacerdotal, il tendait à l’éliminer, tout au moins à le diminuer beaucoup. En réalité, le jansénisme, qui a compté dans ses rangs presque tous les beaux noms de la France catholique, n’a pas donné la mesure de ce qu’il aurait pu devenir, s’il s’était développé en liberté. Ce qu’il fit lorsque ses derniers représentans eurent un instant le pouvoir dans la