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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/342

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leurs propres ressources ou bien à la charité publique. Il est certain que le cadre très restreint des ouvrières régulièrement occupées laisse en dehors toute une légion innombrable et au moins égale de malheureuses dont la vie ne s’explique que par l’assistance, par le vice ou par des expédiens perpétuels et des privations inouïes. La chambre de commerce s’était efforcée de déterminer le salaire moyen des ouvrières recensées, on était arrivé au chiffre de 2 fr. 14 centimes par jour ; mais la méthode suivie était peu exacte, peu logique. Si l’on décompose les nombreux tableaux de l’enquête, on voit qu’en mettant de côté les femmes qui sont nourries et logées et qui sont en réalité des servantes, comme les filles occupées par les marchands de vin, les crémiers ou les limonadiers, il reste en chiffres ronds 90,000 ouvrières véritables, dont 50,000 gagnent moins de 2 francs ou 2 francs au plus par jour, et 40,000 seulement gagnent plus de 2 francs. Depuis cette enquête, qui date de dix ans, les salaires se sont-ils accrus ? Dans certaines professions et pour les sujets habiles, il y a eu de l’amélioration, c’est incontestable, on en trouve la preuve dans les notes publiées à l’occasion de l’exposition universelle ; cependant la plupart des rémunérations sont demeurées et demeureront longtemps encore stationnaires. Ainsi tout démontre que dans cette grande ville si luxueuse, où la concurrence des fortunes brillantes et les exigences d’une fastueuse administration portent si haut les prix des subsistances et des loyers, c’est à peine si l’ouvrière assidue dont les doigts habiles produisent tant de délicats ouvrages obtient une rémunération égale à celle de l’ouvrière de fabrique, qui dans nos villes ou dans nos bourgs de province trouve une existence moins coûteuse et moins surexcitée par le luxe d’alentour.

Il serait intéressant d’entrer dans le secret de ces mille métiers divers qu’offre à nos yeux l’industrie de Paris et de noter partout la rétribution accordée à la femme. Sans nous perdre dans le détail d’une aussi minutieuse investigation, il est possible de répartir en certains groupes cette immense armée des ouvrières parisiennes et d’en résumer en quelques traits les destinées. Il faut laisser de côté les classifications tracées par les enquêtes, car ces divisions et ces subdivisions nombreuses ont été faites en considération moins de l’ouvrier que des industries et des affaires. Les ouvriers ne sont pas irrévocablement parqués dans les sections qui leur sont assignées par les commissaires de la chambre de commerce : ils passent facilement de l’une à l’autre. Telle femme qui fut recensée d’abord dans le groupe du vêtement se trouve aujourd’hui peut-être dans celui de l’ameublement, et une autre qui fut classée dans le groupe de l’alimentation peut avoir émigré depuis dans celui des industries chimiques, sans que leur tâche soit sensiblement modifiée. Il faut