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le taux des salaires ; il faut encore tenir compte de ces chômages qui arrivent régulièrement à des époques fixées, et que l’on appelle morte saison. Le mot est impitoyable et exprime bien la chose : il dit que la source des salaires est tarie, bien que les besoins restent les mêmes. La morte saison est une infirmité sociale et économique. Une meilleure constitution de l’industrie, une hygiène sociale plus rationnelle, réagissent contre ce mal endémique ; ce n’est pas un des moindres mérites du régime manufacturier que d’avoir atténué et presque supprimé la morte saison dans beaucoup de branches de travail.

L’enquête de la chambre de commerce a relevé le nombre des industriels qui subissent une morte saison et le nombre de ceux qui en sont exempts. Il faut noter que ces indications ont été fournies par les industriels eux-mêmes, dont quelques-uns pouvaient se croire intéressés à ce que leur maison passât pour faire des affaires toute l’année. Quoi qu’il en soit, sur 101,171 patrons, 36,356 ont déclaré alors subir chaque année une morte saison ; le minimum de la morte saison (5 pour 100) a été constaté dans le groupe de l’alimentation, le maximum (67 pour 100) dans le bâtiment et dans les articles de Paris. Certaines industries féminines sont spécialement atteintes par cette stagnation périodique du travail. Les confiseurs ne sont fort occupés que pendant les mois d’octobre, de novembre et de décembre. Les trois quarts des couturières, des tailleurs et des modistes ont accusé des chômages qui varient de quatre à six mois, et qui se divisent en deux périodes : l’une de janvier à mars, l’autre de juillet à septembre. Les blanchisseuses de fin subissent une morte saison de cinq mois. Le chômage est aussi très intense dans la bijouterie fine et dans la bijouterie fausse, qu’alimentent les demandes du commerce d’exportation. Dans beaucoup d’autres industries, une grande partie des ateliers sont frappés de chômage pendant le quart de l’année.

C’est déjà une consolation pourtant que près des deux tiers des industriels aient déclaré être exempts de morte saison ; cela prouve qu’il y a dans la constitution actuelle de l’industrie une énergique réaction contre ce fléau redoutable. L’établissement de grandes maisons de confection tend à restreindre de plus en plus les chômages périodiques. Or ce n’est pas seulement au vêtement que la confection peut s’appliquer, c’est à tous les produits. Fabriquer d’avance en grandes masses et sans commande, jeter sur le marché des quantités considérables d’articles communs ou d’un luxe accessible au grand nombre, c’est la tendance de notre industrie. L’immensité du public auquel s’adresse aujourd’hui la production de luxe à bon marché favorise ce mouvement. La petite industrie elle-même prend des allures plus régulières ; il n’y a guère que les maisons ayant