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quelque temps plus ou moins en vigueur, mais dont malheureusement aucun n’a pu avoir un succès indéfini. Les Grecs avaient le tribunal des amphictyons, qui devait les empêcher de guerroyer les uns contre les autres, et y réussissait… quelquefois. Dans le moyen âge, on eut le patronage suprême du saint-siège, devant lequel les souverains s’inclinaient, mais qui, après un petit nombre de siècles, fut repoussé parce que la papauté n’en usait pas avec la discrétion et le désintéressement qui seuls pouvaient le faire respecter. Un des plus grands hommes de ce temps-là et des plus renommés pour leur piété, le roi saint Louis, avait hautement refusé de reconnaître l’autorité politique du pape, et un de ses proches successeurs, Philippe le Bel, en luttant corps à corps contre Boniface VIII avec la dernière violence, semblait avoir démoli la suprématie des papes sur le temporel de l’Europe.

La souveraineté universelle des papes n’était pourtant pas tellement détruite que, longtemps après Philippe le Bel, Alexandre VI, tout Alexandre VI qu’il était, ne pût, sans soulever de réclamation, publier en 1493 des bulles en vertu desquelles les merveilleuses découvertes faites par Christophe Colomb et Vasco de Gama dans les deux hémisphères furent concédées à l’Espagne et au Portugal. Il est vrai que les navigateurs auxquels ces découvertes étaient dues étaient des serviteurs de l’Espagne et du Portugal ; nul n’en ignorait, et il y avait aussi en faveur de ces deux couronnes un droit de premier occupant. Puis alors Luther n’avait pas encore levé l’étendard de la réforme. Ce grand acte de la papauté est au reste le dernier usage qu’elle ait pu faire de l’omnipotence politique qu’elle s’était attribuée et qui lui avait été reconnue.

Ensuite apparut la doctrine de l’équilibre européen, en vertu de laquelle la majorité des puissances se tournait contre tout souverain qui abusait de ses forces envers ses voisins. On contenait ainsi chacun dans son ambition, tant bien que mal. Ce sentiment fortement prononcé permit d’arrêter dans leurs prétentions de domination universelle divers souverains insatiables de pouvoir, Charles-Quint et Louis XIV, et de nos jours le fondateur du premier empire français.

Après 1815, l’Europe eut la sainte-alliance, qui partit de l’idée d’un nouvel équilibre établi sur les ruines du vaste et fragile échafaudage érigé par Napoléon ; mais par sa réaction contre les droits des peuples celle-ci se décrédita rapidement, Les résolutions absolutistes et oppressives des congrès de Troppau (1820), de Laybach (1821), de Vérone (1822), révoltèrent les âmes indépendantes ; elle s’anéantit dans ses propres exagérations comme dans un abîme. Elle n’a été remplacée par rien qui ait pu se tenir debout, de sorte que