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un orgueil peu chrétien, s’érigeant de son autorité privée en représentant de l’Angleterre, avait formé le dessein de faire des conquêtes pour elle ? Il n’y a pas encore tout à fait trente ans. La plupart des principaux acteurs, notamment lord Aberdeen et sir Robert Peel, sont depuis des années descendus dans la tombe, laissant une mémoire infiniment honorée ; mais un autre, qui fut au premier rang, survit, et dans sa vieillesse toujours verte il garde sa place sur la scène du monde : c’est M. Guizot. Certes on peut dire que le différend qui avait éclaté, dans cette possession insignifiante, entre le missionnaire anglais et les officiers de la marine française était une tempête dans un verre d’eau. Néanmoins l’opinion publique s’excita. Sous le souffle des orateurs et des journaux de l’opposition, elle devint si ardente et si intraitable qu’il s’en fallut de peu que de ce misérable incident ne sortît entre la France et l’Angleterre une collision qui eût été une calamité européenne. La transaction fort convenable qui fut convenue entre les deux cabinets leur attira des torrens d’injures que leurs chefs eurent le bon esprit de dédaigner. Il était demeuré dans l’opinion un fonds de sagesse et de bon sens, et c’est ce qui, nonobstant un débordement de clameurs furieuses, les maintint au pouvoir avec l’assentiment notoire des souverains, qui se montrèrent dignes de tenir le sceptre.

Mais ce fut une leçon dont les ambitieux firent leur profit. A peu de temps de là, lord Aberdeen et Robert Peel ayant quitté le ministère, le personnage qui occupait dans le cabinet anglais le poste de ministre des affaires étrangères, lord Palmerston, averti par l’échauffourée de Taïti de ce qu’il fallait faire pour gagner la popularité, souleva l’incident de don Pacifico. Il fut brutal envers le royaume de Grèce : il envoya une flotte, treize bâtimens, bloquer le Pirée et capturer les navires hellènes, afin d’obliger la Grèce à solder le gros mémoire présenté par cet intrigant, qui n’était pourtant pas sujet anglais. Cette ridicule levée de boucliers aboutit, aux yeux des hommes sensés de toute l’Europe, à la confusion de lord Palmerston, parce que la commission d’enquête qui avait été nommée d’un commun accord alloua pour toute indemnité à don Pacifico la somme de 150 livres sterling, soit 3,750 francs, pour quelques papiers qu’on pouvait lui avoir dérobés, et par égard pour les dépenses qu’il avait faites pendant l’enquête même ; son mémoire montait à plus de 550,000 fr. Cependant en Angleterre le vulgaire estima que lord Palmerston s’était comporté en parfait patriote. Sans doute la chambre des lords, mieux inspirée, vota au contraire une résolution portant un blâme sévère contre lui. Lor4Derby y dénonça la conduite du gouvernement comme ayant été inconvenante, injuste, brutale, ayant tendu à troubler l’harmonie qui doit exister