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d’aucun poids ; il est visible qu’elle pèsera beaucoup désormais dans la balance du monde. Ne la voyons-nous pas déjà courtisée par la Russie et par le nouvel empire d’Allemagne ?

Il est fort intéressant de suivre les développemens qu’a pris la doctrine, qui porte le nom du président Monroë, les phases qu’elle a traversées et les applications qu’elle a reçues. Elle parut pour la première fois dans le message annuel qu’il adressa au congrès le 2 décembre 1823. A l’époque où elle fut proclamée, ce fut une grande hardiesse. Elle allait bien au-delà du programme circonspect recommandé à ses concitoyens par l’illustre Washington dans la proclamation qu’il leur adressa en renonçant à la vie politique ; mais en 1823, après les congrès de Troppau, de Laybach et de Vérone, et le succès de la campagne des Bourbons de France pour le rétablissement du pouvoir absolu de Ferdinand VII en Espagne, elle était commandée aux États-Unis par le soin de leur propre sûreté. Par cette déclaration, fière dans le fond, mesurée dans la forme, l’Union de l’Amérique du Nord, bien faible, en comparaison de ce qu’elle est devenue depuis, osa envisager en face, et comme d’égal à égal la réunion des potentats du continent européen. C’était noble et digne de la république romaine. La France a fait, sous le second empire, l’épreuve de la portée de cet acte. Après avoir envahi le Mexique et y avoir installé sous le titre d’empereur un prince de la maison d’Autriche, nous fûmes forcés de déguerpir et d’abandonner à toutes les chances d’un mauvais sort ce souverain que nous avions attiré sur un terrain périlleux par l’appât de la pourpre impériale. On peut adresser aux États-Unis ce reproche, qu’après avoir proclamé la doctrine de Monroë comme une mesure défensive au profit du nouveau continent, ils s’en soient servis quand ils se sont sentis plus forts, plutôt pour défier l’Europe que pour favoriser le progrès des états du Nouveau-Monde. Ils n’ont pas ménagé ces états, qu’ils auraient dû traiter en frères. Quand l’empereur du Brésil eut été bravé dans Rio-Janeiro même par un de leurs marins, on ne lui a accordé qu’une satisfaction bien insuffisante, et l’incendie, accompli sous le plus futile des prétextes, de la ville de Saint-Jean de Nicaragua ou Greytown, par un de leurs navires de guerre, est une tache dans leurs annales. Ils n’avaient pourtant qu’à gagner à se montrer les rigides et vigilans observateurs des devoirs fixés par les principes et les convenances dans leurs rapports internationaux avec les états du Nouveau-Monde.

Une grande idée, qui contenait un beau germe, avait en Amérique traversé les airs et captivé les imaginations : c’était celle du congrès de Panama. Elle apparut sous les auspices d’un grand homme, le Libertador Bolivar. C’était en 1822. Dans cette ville qui,