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et plus complet. Dès ce moment, l’École centrale, qui n’avait eu que le mérite d’une œuvre utile, devient une spéculation prospère. Le nombre des candidats s’accrut chaque année : il fallut rendre plus difficiles les examens d’admission ; les établissemens d’instruction secondaire durent créer des cours spéciaux pour la préparation des élèves à l’École centrale. En un mot, la science industrielle était fondée ; les carrières civiles et indépendantes de l’état possédaient leur École polytechnique, d’où sortaient chaque année les jeunes gens destinés à diriger les manufactures, les mines et les chemins de fer. En 1850, le nombre des élèves dépassait 350 ; en 1856, il atteignait 450, et il se fût élevé à plus de 500, si l’exiguïté du local n’y avait fait obstacle.

Arrivée à ce point, l’école avait pris véritablement les proportions d’un établissement national. Telle était la pensée de ses fondateurs, qui consacraient à son perfectionnement la plus grande part des bénéfices annuels ; mais l’œuvre, assurée de vivre tant que vivraient ceux qui l’avaient organisée avec un coup d’œil si sûr et dirigée avec tant de dévoûment, pourrait-elle se maintenir après eux avec le caractère exclusif d’utilité publique qu’ils avaient eu l’ambition de lui donner ? En outre le développement inespéré de l’école ne devait-il pas être au-dessus des forces d’une entreprise particulière ? Une école n’est pas une industrie : la noble fonction de l’enseignement ne se transmet pas comme une usine, et elle ne saurait être livrée sans dommage à l’action des lois qui régissent les successions individuelles. On voit dans certains pays, notamment en Angleterre, des fondations anciennes, des collèges, des hospices, des musées, qui, survivant à ceux qui les ont créées, ont traversé plusieurs générations, et conservent avec leur caractère primitif une prospérité durable. La législation française ne facilite pas au même degré ce genre de fondation ; nos mœurs ne s’y prêtent pas, et puis enfin, par l’effet de nos institutions, de nos lois, de nos habitudes, c’est le gouvernement qui prend parmi nous la charge et l’honneur des grandes entreprises. Il ne s’agit pas d’apprécier ici cet état de choses, qui est, selon les uns, la conséquence fâcheuse de notre ancien système de centralisation, et, selon les autres, le résultat nécessaire et logique de notre unité ; il suffit de constater le fait. Aussi le directeur de l’École centrale suivit-il les règles de la prudence en même temps que les inspirations du désintéressement lorsqu’il proposa en 1855, d’accord avec les fondateurs survivans, de céder gratuitement à l’état l’école, qui était alors en pleine prospérité.

Cette proposition, soumise au conseil d’état, y rencontra les objections les plus honorables, — Pourquoi, disait-on, reprendre à