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la plus légère concession même à d’autres exigences que les préférences habituelles de sa pensée. Ce que M. Bertin entreprend d’exprimer sur la toile ne diffère nullement, quant au fond, du genre de beauté et des intentions qu’il réussit ailleurs à faire prévaloir seulement, soit refroidissement involontaire de la verve par la lenteur forcée du travail, soit égalité d’insistance sur des parties qu’il eût convenu de traiter en proportion de leur importance relative, une certaine monotonie dans le coloris aussi bien que dans la touche ne laisse pas ici d’engourdir les apparences générales et d’en compromettre sinon la dignité, du moins le charme. Quelque chose d’épais, de surchargé, semble parfois exagérer l’intensité des ombres et en appesantir l’obscurité jusqu’à l’étouffement du ton naturel, de même qu’à force d’envelopper les détails, la lumière sur les objets qu’elle frappe, a l’air de se condenser et de se superposer par couches comme un moule. Contrairement à la méthode des coloristes qui déduisent l’harmonie de la diversité munie des couleurs et de leur éclat inégal, M. Bertin cherche l’unité de l’effet dans l’effacement des contrastes que ces couleurs présentent entre elles. En adoptant une gamme presque monochrome dont il se contente de varier les nuances suivant les cas, il fait en réalité bien moins acte de peintre qu’il ne s’approprie et ne renouvelle à sa manière les procédés de l’aqua-tinte ou du camaïeu. De là, même dans les tableaux les plus remarquables du paysagiste[1], un mélange singulier de langueur et de dureté, un ensemble de tonalités à la fois compliquées et mornes qui, sous une apparence de parti-pris, trahissent les recherches pénibles et la longue succession des efforts.

En revanche, tout ce qui tient à la forme pure, à la cadence ou à la combinaison des lignes est tracé sur la toile par M. Bertin avec une rare certitude, une véritable maestria. Que l’on examine, entre autres spécimens de son aptitude à déterminer pour ainsi dire la structure architectonique d’une scène, que l’on regarde, ne fut-ce qu’un instant, les paysages intitulés Tombeaux de Ghebbel Selseley, dans la Haute-Égypte, le Jardin des Oliviers, l’Ile de Patmos, et, le meilleur à notre avis des vingt-cinq tableaux exposés, celui que le livret mentionne sous cette simple désignation la Chèvre, — on sentira combien le goût qui a choisi et ordonné les élémens de ces compositions est ample et instinctif, combien la noblesse de ce style diffère de la méthode prosaïque dont nous voyons les produits se multiplier d’année en année au salon, et en même temps quelle distance sépare cette dignité sans faste des formules pédantesques en usagé au commencement de ce siècle. Comparés aux simples vues et aux études qui résument les tendances les plus générales de

  1. La Tentation du Christ, par exemple, qui, pendant quelques années, a orné une chapelle de l’église de Saint-Thomas d’Aquin, à Paris, et les Carrières de la Cervara, les Souvenirs de la Vernia, les Sources de l’Alphée, conservés aujourd’hui dans divers musées de province,