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renfermer négligemment dans sa position insulaire, pour laisser le sang couler et l’Europe devenir ce qu’elle pourrait. » — « L’Angleterre, ajoutait-il enfin, qui s’irritait autrefois quand Napoléon lui disait qu’elle était une puissance exclusivement maritime, sortant de son rôle légitime lorsqu’elle se mêlait d’affaires continentales, l’Angleterre reconnaît aujourd’hui qu’il avait raison, car décidément elle fait ce qu’il voulait et livre le continent à lui-même, sans oser avoir un avis sur ce qui s’y passe[1]. » M. Gladstone « gardait le silence d’un homme à la fois attristé et importuné. » Peut-être sentait-il la vérité de ces reproches, mais, comme l’écrivait M. Thiers, « l’idée d’une grande guerre l’effrayait, et l’idée d’une démarche qui serait repoussée l’effrayait autant que la guerre elle-même. « Il semblait ébranlé et pourtant irrésolu, n’osant ni prendre une décision ferme, ni refuser absolument de rendre service à la France.

Lord Granville fut plus courageux. Il refusa péremptoirement de s’immiscer aux négociations. « Je ne puis, dit-il, joindre au message qui me sera confié par le gouvernement français que des paroles, exprimant la satisfaction que j’éprouve à faire ce qui offre à chaque partie le meilleur moyen de connaître les demandes de l’autre, et qui donne les meilleures chances d’arriver à une paix honorable. » C’était d’ailleurs aux Anglais à juger ce qu’ils avaient de mieux à faire. « M. Thiers, avec toute son habileté, ne pouvait pas espérer changer une politique adoptée avec réflexion par le gouvernement de la reine et exposée par lui devant le parlement. » Le ministre anglais consentit même à expliquer à M. Thiers que l’intervention réclamée ne serait pas profitable à la France, « car toute pression de ce genre aurait été peu judicieuse et aurait élevé des obstacles au succès du voyage de M. Favre. » L’Allemagne, semblait-il dire, était une nation d’un caractère ombrageux et jaloux ; il ne fallait pas la contrarier. Le roi et M. de Bismarck se montraient d’une humeur peu endurante ; ils avaient déclaré que le peuple français devait renoncer à tout espoir d’intervention des neutres, et sans doute ils n’entendaient pas qu’on vînt troubler leur tête-à-tête avec la France. « Ils pourraient accepter plus facilement des conditions que l’armée et l’Allemagne ne considéreraient pas comme suffisantes, si les concessions étaient faites spontanément par la France, et non sur l’avis d’un neutre qui n’aurait eu aucune part aux difficultés de la guerre[2]. » Ainsi c’était dans notre intérêt même que l’Angleterre nous refusait sa médiation. La Prusse nous ferait des

  1. M. Thiers à M. Jules Favre, 13 septembre 1870.
  2. Lord Granyille à lord Lyons 14 septembre 1870