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abandonner, à laquelle est attaché le secret de sa puissance ? Est-elle décidée à s’unir à nous pour travailler de toutes ses forces à réparer le mal que nous avons provoqué et qu’elle a laissé faire ? Il n’est jamais trop tard pour se repentir. L’alliance anglaise est encore la plus désirable pour la France et la plus rassurante pour l’Europe.

Malheureusement les Anglais ne paraissent pas se rendre compte de la faute qu’ils ont commise en se désintéressant des affaires de l’Europe. Ils ont adopté depuis quelques années une politique nouvelle, toute d’égoïsme, d’indifférence et d’inertie, consistant à vivre à part des autres puissances, à rester neutres dans leurs querelles, à demeurer étrangers aux affaires du continent, à ne plus s’occuper que de leurs intérêts matériels, à conserver la paix à tout prix et à se croire en sûreté parce qu’ils vivent dans une île. Ils évitent tout ce qui pourrait les obliger non pas même à tirer le canon, mais à tenir un ferme langage et à faire honneur à leurs promesses. Cette nation autrefois si fière, qui a été pendant quinze ans l’âme de la coalition européenne contre l’ambition désordonnée du premier empire, cette infatigable ennemie de l’esprit de conquête, qui n’hésitait pas à contracter une dette jusque-là sans exemple pour soutenir sur le continent la noble cause de l’indépendance des peuples, n’a plus aujourd’hui l’audace d’affronter le moindre danger de guerre, ni le courage de suspendre un seul instant les bénéfices de son industrie et de son commerce. Elle est encore la plus libre, la plus riche, la plus heureuse des grandes nations de l’Europe, mais elle est devenue l’esclave de sa richesse et de son repos. On dirait qu’elle aspire au rôle modeste de ces petits états neutres, autrefois si paisibles sous la protection de la garantie anglaise, aujourd’hui si inquiets et si menacés dans leur existence, depuis que l’Angleterre renonce à sa politique traditionnelle, et qu’elle cherche à se dégager de tous les devoirs qui la gênent.

Le sort de l’Angleterre n’est point douteux, à moins que de grands événemens ne viennent y réveiller l’esprit national. Elle deviendra une seconde Hollande, un pays industrieux, populeux, prospère, mais un pays en décadence, sans influence sur le monde et sans sécurité pour l’avenir. Déjà ses hommes d’état tiennent un langage plus digne de la bourse d’Amsterdam que du parlement britannique. Le ministre éminent qui la gouverne, et à qui elle doit beaucoup d’excellentes réformes intérieures, est un esprit faussé par les doctrines utilitaires de l’école de Manchester. Au lieu de s’appliquer à relever l’énergie de sa nation, il travaille à endormir sa vigilance et à panser les blessures de son orgueil en lui faisant croire qu’elle n’a rien perdu à l’abaissement de la France, que l’agrandissement de l’Allemagne est sans danger pour elle, et que