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Comme tous les peuples qui s’abandonnent, l’Angleterre parait avoir le sentiment sourd de sa déchéance. Elle sait qu’elle est sur une pente fatale, mais elle n’ose pas s’y retenir de peur de tomber plus bas. Elle se contente du présent parce qu’elle redoute l’avenir, et elle ne demande à l’Europe que du repos et du silence, sans vouloir examiner si ce repos est factice et si cette immobilité temporaire ne recouvre pas des agitations profondes. Elle ressemble à ces malades qui ne comptent plus sur la guérison, mais qui espèrent prolonger leur existence en renonçant pour ainsi dire à la vie.

La France, il faut l’avouer, n’en est pas encore venue à ce degré de philosophie pratique. Quoique bien guérie de son ancienne présomption, elle est résolue à ne rien épargner pour conserver son rang en Europe. C’est justement ce qui déplaît à l’Angleterre ; elle éprouve un reste de jalousie-en voyant nos courageux efforts pour libérer notre territoire et reconstituer notre puissance militaire. L’expérience ne l’a pas instruite, et à côté de l’Allemagne victorieuse avec son million de soldats c’est encore chez nous qu’elle affecte de voir un péril pour la tranquillité du monde. Sans être menaçans, nous lui sommes importuns. Elle voudrait fermer les yeux au danger, et mous l’obligeons à y penser plus qu’il ne lui convient. Notre vigilance est comme un reproche pour son aveuglement. Elle voudrait que tout le monde suivît son exemple, et elle voit des ennemis dans tous ceux qui n’imitent pas ses défaillances.

Ce n’est pas la France, assurément, qui se jettera au-devant d’une nouvelle guerre. Nous avons trop à faire dans notre pays pour qu’on puisse nous soupçonner de vouloir chercher de nouvelles difficultés au dehors. Malheureusement l’avenir ne dépend pas de nous seuls. Est-il bien sûr que la guerre ne viendra pas nous chercher malgré nous ? Pouvons-nous répondre qu’elle ne se rallumera pas avant peu d’années ? En ce cas, nous ne pourrions y rester étrangers ; nous devrions, pour notre sûreté même, prendre parti d’un côté ou de l’autre. Si l’Angleterre repoussait notre amitié ou ne l’estimait pas à sa juste valeur, la Russie du moins nous ferait bon accueil. Cette puissance nous a peu soutenus dans la dernière guerre ; mais, comme nous l’avons vu plus haut, elle était dans son rôle en nous laissant. Accabler : c’était une manière de dénouer l’alliance anglaise et de nous amener à rechercher la sienne. Le tsar Alexandre a des liens de famille avec l’empereur Guillaume ; jamais pourtant la parenté des princes n’a prévalu contre l’intérêt des gouvernemens. Depuis que la Russie a tiré de l’alliance allemande tout le fruit qu’elle en espérait par la révision du traité de Paris, cette alliance parait condamnée à disparaître. La Prusse et la Russie