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siècle, tout occupés enfin de sujets imaginaires et de combinaisons artificielles. Plusieurs d’entre eux, dans cette libre et vivante cité qui était leur patrie de naissance ou d’adoption, devinrent, sous la pression des circonstances, de véritables orateurs ; comme Antiphon, Lysias ou Isée, ils prirent une part brillante aux luttes politiques d’Athènes, ou en illustrèrent les débats judiciaires et en commentèrent les lois. D’autres, comme Isocrate, dans des écrits d’un tour tout oratoire, donnèrent leur avis sur les grandes questions où étaient engagés l’honneur et l’avenir de la race grecque. Ainsi, tandis que, dans leurs manuels et dans leurs leçons, tous ces maîtres étudiaient les ressources de la langue et les procédés de l’intelligence qui cherche à persuader, ils fournissaient, par leurs harangues et leurs plaidoyers, des modèles toujours remarquables, parfois déjà presque accomplis, de cet art qu’ils se vantaient d’enseigner. Peu à peu, de cette manière, ils groupaient les élémens et découvraient les secrets de cette prose savante qui atteindra sa perfection avec Platon et Démosthène.

De Périclès jusqu’à Isée, nous avons tenté de retrouver la physionomie originale, de définir la place et le rôle de chacun des hommes distingués qui ont pris part à cette conquête, et dont les ouvrages marquent les différentes étapes du chemin. Au terme de cette route, nous arrivons aujourd’hui à Démosthène, en qui se résume ce long travail, et dont le nom même se confond avec l’idée d’une suprême et souveraine éloquence. L’œuvre de Démosthène est déjà, par le nombre et l’étendue des discours conservés, plus considérable que celle d’aucun de ses prédécesseurs. En même temps, parmi ceux-ci, il n’en est qu’un, Périclès, qui ait fait aussi grande figure sur la scène et dans le plein jour de l’histoire, qui ait, lui aussi, régné sur la cité par la puissance de sa parole ; mais de cette éloquence tant admirée il ne nous est arrivé qu’un lointain et faible écho, deux ou trois mots échappés à l’oubli. On serait donc tenté de croire au premier abord que notre tâche devient ici plus facile, et que Démosthène est de tous les orateurs grecs celui dont les traits s’offrent à nous éclairés dans tous leurs détails de la plus vive lumière. Il n’en est rien pourtant. N’allez point penser au grand orateur romain, aux ressources de tout genre que nous possédons pour étudier sa vie et au parti que l’on en a tiré ici même avec tant de science et de goût[1]. Il est de mode, depuis des siècles, de comparer l’un à l’autre Cicéron et Démosthène. Depuis Quintilien et Plutarque, il n’y a pour ainsi dire pas un critique et un historien qui ne se soit essayé sur ce thème. La vérité, c’est que l’on

  1. Nos lecteurs n’ont pas oublié les études de M. Gaston Boissier sur Cicéron et ses amis’’, quoiqu’elles datent de 1863 et de 1864.