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portait le fait à la connaissance du public par des affiches apposées sur la base des statues qui représentaient les héros éponymes des dix tribus. C’était au pied de ces statues, sur le marché, que se dressait le tribunal où il siégeait, et le soubassement de l’estrade qui portait ces images servait d’album, comme on eût dit à Rome ; on y exposait, après les avoir fait lire tout haut par le greffier, les projets de loi ou de décret et les actes judiciaires. Cette publicité n’avait pas seulement pour but d’attirer le plus de concurrens possible à l’enchère où serait adjugée la ferme des biens du mineur, elle était aussi destinée à faire apparaître toutes les créances, toutes les charges dont pouvait être grevée la succession. C’était alors que devaient se présenter, pour faire valoir leurs droits, tous ceux qui avaient quelque chose à réclamer ; s’ils négligeaient d’intervenir à ce moment, ils s’exposaient à voir plus tard leurs demandes écartées par une simple fin de non-recevoir. L’inventaire dressé et les dettes réglées, quand tous ceux que la chose intéressait avaient pu visiter les immeubles ou vérifier la valeur des créances dont se composait la succession, le magistrat, au jour dit, procédait à l’adjudication. La fortune du mineur, avec tous ses droits actifs et passifs, était remise, en échange d’une rente annuelle, au plus offrant et dernier enchérisseur pour un nombre d’années qui variait suivant l’âge du pupille. Les conditions du marché étaient constatées par un acte écrit que rédigeait le greffier et dont la teneur pouvait d’ailleurs être certifiée par de nombreux témoins présens à l’audience. C’était ensuite affaire à l’acquéreur d’exploiter de son mieux le capital, d’en tirer un revenu supérieur au loyer.

Cette ingénieuse combinaison offrait un double avantage. D’une part, quelques semaines après le décès du chef de famille, l’inventaire était dressé et la fortune des mineurs rendue claire et liquide[1] ; d’autre part, le tuteur voyait par là sa tâche singulièrement allégée : il se trouvait ainsi défendu tout à la fois contre ses propres convoitises et contre l’humeur processive d’un pupille qui aurait le caractère mal fait. Il n’y avait qu’un péril, c’était que l’adjudicataire ne se laissât entraîner, par le désir d’augmenter ses profits, soit à risquer dans des spéculations hasardées les sommes qui lui avaient été remises, soit à faire abus du droit d’usage qui lui était concédé sur les immeubles ; on pouvait craindre ou qu’il ne devînt insolvable pour longtemps, ou qu’à l’expiration du bail il ne

  1. Il est permis de supposer un intervalle d’environ deux mois entre le moment où était annoncée la location du patrimoine et celui où elle se faisait par voie d’enchères devant le magistrat. Un passage de Théophraste, cité par Stobée, nous apprend en effet qu’à Athènes toute vente à la criée devait être annoncée par des affiches soixante jours à l’avance, et la similitude des situations nous porte à croire que, dans le cas qui nous occupe, le délai légal était le même.