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et à leurs travaux. Il y a lieu de croire que Kléobulé y fut aidée par son beau-frère, dont Démosthène ne parle jamais qu’avec un reconnaissant souvenir. Démocharès venait souvent voir la triste mère, celle-ci lui racontait ses chagrins ; elle lui disait comment, de jour en jour, les tuteurs se contraignaient moins, laissaient plus clairement percer leurs convoitises et leur malveillance. Les enfans étaient là, d’abord tout entiers à leurs jeux ; mais bientôt, à force d’entendre retentir à ses oreilles ces plaintes et ces conversations, l’adolescent devint attentif. Silencieux, il se rapprochait, il écoutait ; un peu plus tard, il interrogea, il se fit expliquer les choses. Dès lors naquit chez lui la pensée de se mettre, par l’instruction et le talent, en état de punir ces mauvais parens et de recouvrer son bien. Ce n’était pas à ses tuteurs qu’il pouvait demander conseil sur la direction de ses études et le choix de ses maîtres ; dans cet enfant sans sourire et sans gaîté, dont ils avaient déjà parfois surpris les regards chargés de muettes colères, ils avaient deviné bien vite un ennemi. Démocharès semble avoir été le seul, parmi tous ceux-qui entouraient Démosthène, auprès de qui il ait pu trouver alors avis et secours ; ce personnage peut donc revendiquer une part de mérite et d’honneur dans le développement du rare génie, du grand citoyen et du grand orateur qui devait illustrer les derniers jours d’Athènes.


III

Enfant, Démosthène paraît avoir été frêle et délicat, Plutarque dit même maladif. Les tristesses et les inquiétudes dont il devint de bonne heure, grâce à la précocité de son intelligence, le témoin et le confident, n’étaient pas faites pour remettre sa santé. Ce fut sans doute pour ce motif qu’il resta presque étranger à ces exercices du corps qui tenaient d’ordinaire une si large place dans l’éducation de tout jeune Athénien. Loin de le pousser vers ces palestres où la plupart des adolescens passaient la meilleure partie de leur temps, la tendre sollicitude d’une mère aisément alarmée travaillait plutôt à l’en écarter ; elle craignait qu’au lieu de le fortifier le saut, la course et la lutte ne le fatiguassent jusqu’à l’épuiser. Bien des années après, Eschine, plaidant contre lui, s’écrie d’un ton de triomphe et de dédain : « Où sont parmi vous les camarades de jeunesse que Démosthène pourra faire comparaître, afin d’implorer les juges en sa faveur ? A-t-il des compagnons de chasse ou de gymnase à produire devant le tribunal ? Non, par Jupiter, jamais il n’a chassé le sanglier ! A l’âge où les autres développent leurs forces physiques, il ne s’occupait déjà que d’apprendre l’art de tendre des pièges aux riches. »