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plusieurs membres importans du centre gauche soient un peu effrayés du chemin qu’ils ont fait vers les opinions extrêmes. M. Ghyczy veut se retirer de la carrière politique ; ce serait une véritable perte pour son pays. M. Jokai revient à une attitude plus modérée ; ses grands talens seront ainsi bien plus utiles au libéralisme hongrois. On ne peut espérer aucun changement dans les allures de l’extrême gauche et dans ses passions irréconciliables, qui sont pour elle une religion. Le parti Deák aura probablement la majorité cette fois encore, mais on comprend que ce parti et son chef éprouvent quelque découragement. Les moyens récemment employés pour réduire la majorité à l’impuissance n’ont rien de bien édifiant. Quoi de plus triste que cette dérision des principes parlementaires, que cette parodie de la liberté de la tribune, que ce manque de respect envers la représentation nationale ?

La nation magyare ne peut laisser longtemps l’Europe sur une pareille impression. Quelle que soit la majorité de la future assemblée, conservatrice, réformiste, radicale même, elle doit à sa propre dignité, au noble passé de la Hongrie, une attitude plus constamment ferme et plus modérée, moins de violence, moins de passions. La diète de 1869-1872 lui lègue un laborieux héritage et de salutaires enseignemens. Après une année de travaux paisibles, l’assemblée dont les pouvoirs viennent d’expirer a traversé une longue crise européenne dont elle n’était point responsable, dont elle a cependant trop subi l’influence. Elle a sans doute continué sur bien des points d’excellentes réformes auxquelles nous avons rendu justice ; mais les conservateurs ont exagéré le dualisme aux dépens des Slaves, les opposans, dans leur ardeur à se séparer de l’Autriche, ont failli lancer leur patrie dans les aventures. Sans prétendre donner des conseils aux différens partis qui se disputent l’influence en Hongrie, on peut renvoyer les Magyars aux souvenirs de leur propre histoire. Ils y verront que, si l’Autriche ne peut rien sans eux, ils ne peuvent rien non plus sans l’Autriche, que l’orgueil excessif et la violence les ont toujours perdus, que l’esprit de légalité patiente et les prudentes concessions leur ont seuls permis de survivre à tous leurs malheurs.


EDOUARD SAYOUS.