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présente, à cette époque de leur séparation, la correspondance d’André et de Julie. Il a bien senti le tour d’humeur poétique et méditatif d’André, il l’a bien rendu en citant quelques extraits de ses lettres où l’on entend un écho affaibli des Rêveries et des deux Lettres à M. de Malesherbes ; il a laissé dans l’ombre son adorable candeur, que développe encore l’isolement de Bourg, son esprit original, qui goûte et reflète avec plus de vivacité, dans une ville nouvelle pour lui, les scènes de la province, tout un ensemble de traits aussi vrais aujourd’hui qu’il y a soixante-dix ans, et dont on pourrait composer un récit sui generis qui s’intitulerait les Débuts d’un professeur ; débuts matériellement plus difficiles à l’époque d’Ampère, mais moralement plus doux qu’ils ne le sont à présent. Rien n’est touchant et rien aussi n’est navrant comme les désespoirs de Julie à propos de quinze sols mal dépensés, les terreurs et les contritions du malheureux André, quand il est obligé de confesser à sa femme qu’il a gâté, en faisant une expérience de chimie, sa culotte presque neuve ! On ne le croira pas, si on ne lit soi-même ces lettres ; mais la question en apparence si simple : « Ampère sera-t-il nommé au lycée de Lyon ? » le cri que Julie, malade loin de son mari, pousse chaque jour : « lycée, lycée, quand te tiendrons-nous ? » saisit peu à peu et oppresse si péniblement le lecteur que, dans le roman combiné avec le plus d’art, il n’est guère de péripétie plus poignante. Enfin on est soulagé ; Ampère « tient le lycée, » il est nommé à Lyon. Hélas ! c’est pour voir bientôt après sa femme expirer entre ses bras, et sa vie à lui-même brisée et perdue pour toujours.

Oui, brisée et perdue, de quelques beaux travaux et de quelques grandes découvertes qu’elle ait été marquée ! Ampère s’est arrêté à mi-chemin. Il ne s’est pas déployé tout entier et selon ses vraies aptitudes. Depuis la mort de Julie, la direction lui a manqué ; faute de cette direction, la faculté d’invention, chez lui, s’est dissipée et égarée. Ampère était une nature faible et déréglée, qui avait besoin du frein et de l’aiguillon. L’instinct de jeunesse qui l’avait irrésistiblement poussé vers Julie ne l’avait pas trompé ; elle possédait tout ce qui lui faisait défaut à lui-même et qui est indispensable pour le bon emploi du génie : une âme ferme, l’esprit de conduite et la raison. Il avait cherché en elle, sans le savoir, et trouvé son guide et son mentor. Son fiis Jean-Jacques, que notre génération a connu, lui ressemblait en ce point ; il aide à le comprendre. Les années les plus laborieuses et les plus fécondes pour Jean-Jacques ont été celles qu’il a passées sous les auspices et comme sous le joug de l’amie sage et dévouée qui publie aujourd’hui la correspondance d’André. Pendant qu’André réside à Bourg, Julie le force à écrire ses premiers mémoires sur les mathématiques transcendantes ; elle ne lui permet pas de dévier à droite ni à gauche du sujet qu’il a choisi. A peine a-t-elle lu dans le Moniteur l’annonce du prix de 60,000 francs offert par Bonaparte « à celui qui fera faire à l’électricité et au