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faisait aux entrepreneurs de constructions à Paris, ne se préoccupait pas beaucoup d’étendre ses opérations au dehors et particulièrement dans les campagnes. Cependant il faut dire, pour être juste, que la tâche n’était pas aisée. Il y avait d’abord une grande répugnance de la part des gens de la campagne à s’adresser au Crédit foncier ; ensuite la propriété n’était pas toujours constituée de façon à présenter les garanties nécessaires. Il fallait vaincre cette répugnance, et obtenir que la propriété fût mieux établie. En attendant, le Crédit foncier commença ses opérations là où elles étaient possibles ; ses premiers succès ont eu au moins cet avantage qu’ils ont contribué à le faire connaître, à populariser ses titres, et aujourd’hui il est en mesure de prêter son assistance à quiconque la lui demandera sur tous les points du territoire. Il s’est mis pour cela en rapport avec les receveurs-généraux et les notaires ; il n’est personne, dans le moindre village, qui, au moyen de ces intermédiaires, ne puisse avoir accès jusqu’à lui. Il n’a plus qu’un obstacle contre lequel il lui faille lutter sans cesse, c’est l’envie. Au début, on doutait du succès ; aujourd’hui on est jaloux de la prospérité. Ah ! c’est une bien terrible maladie à laquelle sont en proie les sociétés démocratiques. Aussitôt qu’une chose réussit et donne des bénéfices, on oublie qu’il y a eu des risques à courir, que ceux qui y ont engagé leurs capitaux pouvaient les perdre, et que, s’ils les avaient perdus, l’entreprise elle-même, avec les avantages que le public en retire, n’existerait pas. On n’a plus qu’une préoccupation, c’est de la ruiner. C’est avec ce sentiment qu’on attaque aujourd’hui nos grandes compagnies des chemins de fer, qu’on voudrait leur susciter à tout prix des concurrences. On se récrie de même contre la Banque de France, et ces attaques prennent une vivacité toute particulière lorsque les bénéfices à répartir proviennent d’un monopole. Il semble alors que les droits du public soient complètement sacrifiés. On ne se dit pas que, dans une société bien organisée, il y a des monopoles nécessaires dont tout le monde profite. Nous l’avons démontré ici même plus d’une fois à propos de la Banque de France, et qui oserait soutenir aussi, en ce qui concerne le Crédit foncier, qu’il y aurait aujourd’hui en circulation 1 milliard 800 millions de lettres de gage parfaitement acceptées du public, si elles étaient émanées de divers établissemens, de ce qu’on appelle la libre concurrence ? Évidemment, s’il n’y avait pas eu en France un établissement unique pour émettre des lettres de gage, comme. il y a une seule banque pour créer des billets au porteur, notre crédit, sous ses diverses formes, ne serait pas après nos désastres ce qu’il est en ce moment. Obligations de chemins de fer, lettres de gage, billets au porteur, tous ces titres doivent la faveur dont ils jouissent aux monopoles dont ils dérivent.


VICTOR BONNET.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.