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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/77

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comme un des déposans de l’enquête lui en attribue l’intention, pour se voir contraint de revenir sur tout ce qu’on avait fait, « de reprendre tout ce que l’on avait abandonné. »

Le vice secret de cette politique, c’est qu’en réalité ce n’était point du libéralisme. C’était un système de concessions calculées de façon à dénaturer ou à neutraliser un mouvement d’opinion qu’on sentait renaître et dont on s’inquiétait, en le noyant pour ainsi dire dans un mouvement beaucoup plus vaste, bien autrement redoutable, mais qu’on se flattait de maîtriser. Qui ne se souvient des caractères étranges de la politique suivie pendant ces années ? On refusait souvent aux journaux les plus modérés les facilités qu’on finissait par accorder au radicalisme le plus ardent. Les garanties sérieuses, sincères, pratiques d’un contrôle efficace, d’un gouvernement constitutionnel, on les disputait pied à pied, on les marchandait, et d’un autre côté on donnait ce qu’il est bien permis d’appeler les libertés périlleuses, les libertés conduisant à toutes les recrudescences révolutionnaires. On faisait sentinelle autour du domaine de la politique, et on ouvrait la porte aux agitations sociales, économiques. Il s’agissait avant tout de désintéresser les masses populaires, de détacher les ouvriers de la politique, de gagner ou de retenir le suffrage universel, fût-ce en cédant à ses passions, en ayant l’air de complaire à ses faiblesses, comme on avait réussi à le contenir ou à l’endormir jusque-là par toutes les satisfactions matérielles. Le gouvernement croyait se fortifier contre l’opposition parlementaire de jour en jour grandissante en livrant la société elle-même, parce qu’il espérait sans doute que les masses, caressées, flattées, satisfaites dans les villes comme dans les campagnes, lui sauraient gré de ses avances, ou que les excès, s’il venait à s’en produire, lui rallieraient d’autant plus sûrement les classes moyennes et conservatrices, guéries tout à coup de leurs fantaisies de fronde et d’opposition.

C’était un calcul aussi redoutable que singulier. On jouait le tout pour le tout avec l’arrière-pensée de rester en définitive maître du terrain par cette tactique, qui consistait à opposer les diversions démocratiques au simple libéralisme. M. Mettetal, le haut fonctionnaire de la préfecture de police, dans sa libre et sérieuse déposition, montre précisément cette politique à l’œuvre dès le premier ébranlement, dès l’instant où l’on commence à s’apercevoir qu’il va falloir compter avec le suffrage universel, réveillé de son sommeil de quinze ans. Celui-là est un témoin de la maison qui ne craint pas de distribuer les responsabilités.

« On s’est trouvé directement en face de ce redoutable instrument, dit-il, et on était du même coup aux prises avec l’opposition, qui voulait