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prisonnière y succomba ; la fièvre l’entreprit. Si douée d’élasticité que fût cette nature, tant d’émotions, de deuils, de catastrophes, l’avaient abattue. L’état moral se compliquait maintenant d’atroces douleurs physiques, suite des blessures qu’elle s’était faites en se labourant la poitrine de ses mains désespérées. Octave cependant redoublait de surveillance. Il tenait les trésors, il voulait la femme ; il la voulait belle, point endommagée par la maladie ; mais Cléopâtre avait dit : « Il ne m’aura pas à son triomphe. » Parmi les officiers romains commis à sa garde figurait Publius Cornélius Dolabella. La reine s’était confiée à lui. Quand il la vit repousser tout soulagement, il la supplia de sa laisser guérir, ajouta qu’elle serait toujours à temps de s’ôter la vie, et que, le maître n’ayant point prononcé son dernier mot, elle devait au moins attendre que toute espérance eût disparu de conserver le trône d’Égypte à ses enfans. Cléopâtre se rendit à la condition que Dolabella prendrait l’engagement de lui transmettre à l’instant même, aussitôt qu’il les aurait surprises chez Octave, les dispositions définitives à son égard. Dolabella jouait sa tête, il n’en mit que plus de flamme à la partie ; le lendemain, un message secret informait la reine que César avait résolu d’opérer son retour par la Syrie, mais qu’elle et ses enfans allaient être sous trois jours expédiés par mer en Italie.


III

Cléopâtre sait ce qui l’attend, sa résolution est arrêtée. Elle veut mourir, et mourra comme elle a vécu, en reine, dans ses états, dans le palais de ses ancêtres, dont avec elle va finir la dynastie. Une fois encore cependant la défaillance aura son heure. Je veux parler de l’entrevue avec Octave, où la femme irrésolue, coquette, reparaîtra dans ses artifices et sa fragilité. Patience ! le roseau ploie, il se relèvera, et tout de suite alors quel spectacle ! À ce mot, j’entends les sceptiques se récrier. « Ce qui vous prend, disent-ils, c’est le côté décoratif, la mise en scène. Vous êtes là sur le terrain de l’Opéra ; un pas de plus, et vous allez nous demander de la musique de Mozart ou de Rossini ! » — Pourquoi pas ? Oui, certes, il y a le spectacle ; mais peut-on ne voir que cela ? Tout grand fait, pour se graver dans la mémoire des hommes, a besoin d’une mise en scène : tout héroïsme est plastique de sa nature ; mais la mise en scène, qui fait des comédiens, ne crée pas des héros, et telle femme aura beau s’appliquer un aspic à la saignée et mourir solennellement sur un lit de parade qui n’en sera point illustre pour cela. On ne vit ici-bas, ou plutôt on ne survit que par l’idée. « Du sein