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proscriptions au luxe public. En cela encore, elle était conséquente avec son esprit imitateur de l’antiquité. Dans les anciennes républiques, la pauvreté des citoyens n’excluait pas une certaine magnificence dans l’état. La médiocrité régnait dans les demeures des particuliers : les temples, les monumens, les fêtes, manifestaient un luxe public plein de grandeur et d’éclat. Point de jouissances exclusives à l’usage du riche, un luxe collectif à l’usage du peuple, quoi de plus conforme au programme démocratique ?

Sur la question du luxe privé, de la latitude à laisser à l’usage et à l’abus de la richesse privée, la convention présente donc des oppositions d’idées qu’on ne retrouve pas pour le luxe public. Elle l’admet, tout comme l’ancienne monarchie, quoique sous des formes à plus d’un égard différentes. Qu’on ne fasse pas exception même pour les disciples de Rousseau, qui, bien que beaucoup plus nombreux et influons à la convention que dans la constituante, ne formèrent pas d’ailleurs la majorité dans cette assemblée, car ni les girondins ni même les dantonistes ne sauraient être enrôlés sous la bannière du Contrat social. La convention dans son immense majorité veut un luxe public et des arts très développés : elle en rêve, nous verrons comment, la régénération. Sous la forme des fêtes nationales, elle va même jusqu’à en abuser. Elle tend, ici comme partout, à centraliser à l’excès. Où était le roi, elle met l’état, protecteur des arts et des lettres. La convention aime les arts et les lettres un peu trop à sa manière ; mais les aimer même ainsi, ce n’est pas les détester et les proscrire.

La question au reste n’est pas purement historique. Elle nous touche de près en même temps qu’elle a une portée générale. Que doit être le luxe dans une société démocratique ? Cette question paraît digne de fixer l’attention des moralistes et des politiques en tout temps et plus que jamais aujourd’hui. Voilà ce dont s’est préoccupée la révolution avec un mélange d’idées justes et d’aberrations singulières. Est-il possible de croire que la même question ne se présente plus, et qu’elle ait reçu de tout point une solution satisfaisante ? On a beaucoup fait, depuis la révolution même, pour donner à ce luxe, autrefois privilège d’une élite dans la plupart de ses manifestations, un caractère moins exclusif ; nos expositions d’art et d’industrie en sont la preuve. Il ne manquerait pas d’autres témoignages de la même pensée. Beaucoup plus qu’autrefois la foule est admise à ces jouissances, auxquelles seuls la fortune et un certain rang donnaient accès. N’y a-t-il plus là pourtant aucun perfectionnement à introduire, aucun écueil à éviter ? Si nos fêtes, par exemple, n’ont pas l’emphase prétentieuse qu’on a reprochée à la plupart des fêtes de la révolution, ne sont-elles pas comme