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une raison de se montrer plus sévère ? C’est avec un véritable chagrin qu’on se trouve réduit à chercher dans les ouvrages d’un homme tel que M. Couture une idée, un sentiment, une expression, une originalité quelconque, pour n’y trouver qu’une facilité banale et un jeu d’esprit prétentieusement vulgaire. Le Damoclès porte comme devise : Potior mihi periculosa libertas quam secura et aurea servitus. Sans cette explication latine, il serait effectivement impossible de comprendre le sujet. Un homme en costume antique et couronné de fleurs est assis sur de riches coussins, entouré de tout ce qui, selon M. Couture, peut rendre la vie agréable et la « servitude dorée, » de beaux fruits, de brillantes draperies, des trésors. De lourdes chaînes traînent à ses mains et à ses pieds : c’est là toute la moralité de l’œuvre, et, il faut le dire aussi, tout son intérêt. Du reste, ce voluptueux prisonnier a l’air fort calme, fort indifférent à tout ce qui se passe, et évidemment il ne se doute guère des réflexions philosophiques qui lui ont donné le jour.

M. Alma-Tadéma est par certains côtés un fils de M. Couture et de M. Gérome. Ses admirateurs lui assignent, il est vrai, une origine bien plus relevée, et le font descendre en droite ligne de la renaissance. C’est remonter vraiment beaucoup trop haut. M. Alma-Tadéma est un artiste de talent ; mais malgré certaines recherches d’archaïsme et certains choix de sujets grecs ou romains il nous paraît avoir un génie des plus modernes. Son amour de l’antiquité a quelque chose de posthume et, si j’ose ainsi parler, de néo-grec qui conviendrait mieux à la maison pompéienne de l’avenue Montaigne qu’aux galeries du Vatican ou au palais des césars. Avec beaucoup d’esprit et une certaine originalité, il a ces deux travers de notre temps, l’abus de la caricature et l’abus de l’archéologie. Son Empereur romain représente une des scènes les plus connues de cette tragi-comédie sanglante de la décadence romaine où la soldatesque faisait passer de mains en mains l’empire du monde, acclamant et immolant tour à tour des maîtres dont elle se faisait des jouets ou des idoles. Après le meurtre de Caligula, Claude, craignant le sort de son neveu, s’est caché derrière une des tapisseries du palais, et c’est là que les prétoriens le découvrent et le saluent empereur. Le pauvre imbécile, encore tout épouvanté, s’accroche à la draperie où il a cherché un refuge, et que soulève un centurion, en le saluant avec une affectation de respect ironique. Ses mains se crispent dans les plis du rideau, son visage blême et ahuri a ce rictus inquiet et bestial dont parle Suétone. À ses pieds, le cadavre du dernier empereur attend qu’on le traîne à la voirie. De l’autre côté, une foule de soldats et de femmes agitent les aigles et acclament en riant le nouveau césar. C’est bien là une