Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serrés autour du manche d’un couteau. Où, comment il avait pris ce couteau, il n’en savait rien. L’individu qui tenait sa main sanglante était M. Morpher. Il entraîna le maître jusqu’à la porte ; mais le maître résistait et essayait de prononcer autant que le lui permettait la sécheresse de son gosier brûlant le nom de Mliss. — Tout va bien, mon garçon, dit M. Morpher. Elle est chez nous.

Ils descendirent la rue ensemble, et, tout en marchant, M. Morpher lui apprit que Mliss était accourue essoufflée à la maison et l’avait averti qu’on tuait le maître à l’arcade.

Désirant rester seul, le maître promit à M. Morpher, pour se débarrasser de lui, qu’il ne chercherait pas à rencontrer de nouveau son adversaire cette nuit-là, et reprit le chemin de l’école. A sa grande surprise, il s’aperçut en approchant que la porte était ouverte ; sa surprise redoubla lorsqu’il vit Mliss assise dans un coin.

Le caractère du maître, on l’a déjà compris, avait, comme la plupart des organisations d’une excessive susceptibilité, l’égoïsme pour base. Le souvenir de l’injure qui lui avait été jetée à la face s’envenimait dans son cœur. Il était donc possible qu’on interprétât ainsi son affection pour un enfant ? En tout cas, il était coupable de donquichottisme, il était ridicule. D’ailleurs ne renonçait-elle pas volontairement à cette affection, ne bravait-elle pas son autorité ? Tout le monde l’avait mis en garde contre elle, seul il avait combattu l’opinion générale, et maintenant il était obligé de confesser tacitement la justesse de ce qu’on lui avait prédit ; grâce à elle, il en était venu aux mains dans un cabaret avec un coquin de bas étage, il avait risqué sa vie pour prouver quoi ? Qu’avait-il prouvé ? — Bien. — Que dirait le monde ? que diraient ses amis ? que dirait Mac Snagley ?

Comme il s’accusait ainsi, la dernière personne qu’il eût voulu rencontrer était certainement Mliss. Entrant dans la chambre, il s’assit à son pupitre, et déclara en quelques mots froids et rapides qu’il avait à faire, qu’il souhaitait qu’on le laissât seul. Lorsqu’elle se leva, il prit la chaise qu’elle venait de quitter, s’assit à son tour, et cacha son front dans ses mains. Quand il releva la tête, elle était encore là debout, l’observant anxieuse. — L’avez-vous tué ? demanda-t-elle.

— Non.

— Je vous avais donné le couteau pour cela, s’écria l’enfant avec animation.

— Vous m’avez donné le couteau ? répéta le maître abasourdi.

— Oui, je vous l’ai donné. J’étais cachée sous le comptoir. Je vous ai vu le frapper, je vous ai vu tomber tous les deux. Son couteau lui avait échappé ; je vous l’ai donné. Pourquoi ne l’avez-vous