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protéger l’intérêt général des déposans en face de certains ministres mal conseillés ou mal inspirés. Puis on a considéré ceci : les caisses d’épargne, importées en France en 1818, se sont fondées par la libre initiative des simples particuliers, et cette libre initiative dans les œuvres d’intérêt public doit être encouragée en France plutôt que combattue.

L’état a donc sagement refusé d’absorber les caisses d’épargne privées, et même de leur créer une concurrence par une caisse officielle, qui aurait bientôt fini par engloutir toutes les autres suivant nos mœurs populaires, si faciles à la centralisation ; mais ce que peut bien faire l’état, ce que voulait un projet de loi préparé par la commission de 1869, c’est de faciliter les opérations des caisses d’épargne en mettant à leur service, pour la réception et le remboursement des dépôts, les perceptions des finances et les recettes des postes. Ainsi les caisses d’épargne auraient dans tous les cantons au moins de la France des succursales. Ce développement de l’institution amènerait un accroissement considérable du stock de dépôts confié à l’état. Ce stock, qui s’est élevé jusqu’à 720 millions, chiffre bien inférieur sans doute aux 1,400 millions des caisses d’épargne anglaises, mais considérable eu égard à la responsabilité du trésor dans un pays agité comme la France, ce stock depuis trente ans a inquiété plus d’un financier d’état. De là des mesures qui visaient à restreindre plutôt qu’à développer les services, pourtant bien utiles, des caisses d’épargne françaises. — Voyons, sur ce point, ce que peut nous enseigner l’histoire de nos caisses d’épargne pendant les deux dernières crises politiques, en 1848 et en 1870. Expérience vaut science, et rien ne guide et n’affermit le législateur comme l’étude des faits.

Dès que la révolution de février eut éclaté, les déposans aux caisses d’épargne affluèrent pour retirer leurs fonds. Le gouvernement provisoire pensa qu’il suffisait, pour modérer le mouvement de ces créanciers de l’état, d’élever de 1 pour 100 le taux de l’intérêt des dépôts : un décret du 7 mars 1848 fixa ce taux à 5 au lieu de 4 pour 100. On s’aperçut bientôt que le palliatif était sans effet ; la foule des réclamans grossissait chaque jour plus tumultueuse aux abords des caisses d’épargne, surtout à Paris. Le ministre des finances, désorienté (il faut le dire, c’était un parfait honnête homme, mais qui manqua de sang-froid), le ministre des finances imagina, le 9 mars 1848, un nouveau décret qui suspendait les remboursemens en espèces, ou du moins les limitait à 100 francs par chaque livret, et offrait le paiement du surplus moitié en boas du trésor à quatre et six mois, moitié en rentes 5 pour 100 au pair de 100 francs. Or les bons du trésor s’escomptaient à ce moment en perte de 30 à 40 pour 100, et les rentes 5 pour 100 valaient au plus 75 francs. Ainsi l’état se libérait de ses dépôts en livrant des valeurs dépréciées ; c’était réellement une banqueroute partielle. La moitié environ des déposans subirent ce concordat forcé. Quatre mois après, l’assemblée essaya de tirer les caisses d’épargne de cette fausse situation ; l’état