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plus grave obstacle peut-être était le manque d’ouvriers. On ne pouvait compter que sur les condamnés que le gouvernement envoyait subir leur peine en Sibérie et sur les serfs fugitifs, au profit desquels les mines exerçaient le droit d’asile. Pierre le Grand avait accordé de plus des prérogatives tyranniques : les habitans des villages voisins étaient corvéables des usines; les concessionnaires pouvaient infliger des peines corporelles à leurs ouvriers, ils étaient indépendans des autorités locales, et ne relevaient que du collège des mines de Saint-Pétersbourg. Nikita Demidof et ses fils surent profiter de ces faveurs exceptionnelles, car leurs affaires devinrent prospères; mais lorsque le père fut mort et que les enfans, anoblis par le tsar, eurent pris des habitudes de luxe et d’absentéisme, cette prospérité s’évanouit. La plupart des usines, sans en excepter les plus importantes, ne sont plus que des ruines; les forêts ont été saccagées par une exploitation imprévoyante, on n’a pas même construit de routes dans les districts miniers. Il ne reste à l’avantage des propriétaires de mines que des privilèges abusifs qui pèsent lourdement sur les ouvriers. La main-d’œuvre est toujours très peu rétribuée. En 1851, les usines payaient 25 centimes la journée d’ouvrier, en sus de la nourriture, du logement et de l’entretien des bâtimens communaux. Malgré ce bas prix des salaires et les droits de douane protecteurs, les fourneaux de l’Oural ne sont plus en état de lutter sur les marchés de Moscou et de Saint-Pétersbourg avec les usines étrangères. La difficulté des transports les tuera. Que l’on songe en effet que, pour atteindre la rivière Kama, où la navigation est facile et sans danger, il faut parcourir des centaines de kilomètres sur des cours d’eau torrentueux ou de mauvaises routes. Les gros chargemens n’arrivent guère à Saint-Pétersbourg, par les canaux, que dix-huit mois après leur départ de l’usine; ils passent un hiver dans les glaces. Cependant le fer au bois de l’Oural est d’une qualité remarquable surtout pour les tôles et les aciers. Si l’on introduisait dans ce pays les procédés modernes de la métallurgie et que les voies de communication fussent améliorées, cette belle industrie retrouverait ses anciens succès.

Les usines qui produisent d’autres métaux que le fer ne sont pas dans une meilleure situation, sauf peut-être une exploitation de graphite en Sibérie, fort habilement dirigée depuis quelques années par un ingénieur français. En général, les établissemens que possède la couronne sont les moins heureux. L’Oural recèle de l’or dans les alluvions des rivières et dans les filons quartzeux, comme l’Australie et la Californie; mais l’activité que montre le travail libre dans ces colonies nouvelles ne se retrouve pas dans l’empire russe. Un seul fait en fournira la preuve. En Australie et en Californie, les mineurs écrasent les quartz aurifères au moyen d’énormes pilons