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un lieu d’attente sacrée pour des âmes croyantes, soutenues par l’espoir de leur réunion à la communion générale des fidèles; à Vézelay, ce n’est qu’une forme architecturale conservée par la tradition et respectable à ce titre, une sorte de splendide antichambre de la maison de Dieu, où serfs et vassaux peuvent stationner en attendant l’heure de leurs maîtres. Les portes du narthex une fois ouvertes, l’œil, saisi tout vif par une perspective à laquelle ne se peuvent comparer les plus étonnans effets du diorama, plonge avec surprise dans une profondeur singulière, et embrasse d’un seul regard l’église dans toute sa longueur. Une spacieuse avenue (je n’ose dire une nef, car le mot rendrait mal le caractère propre à cette magnificence), bordée de colonnes romanes sur chacun des côtés, comme les avenues qui conduisent aux résidences seigneuriales sont bordées de grands arbres, débouche en face du chœur. Des deux côtés de cette avenue, deux allées plus étroites l’accompagnent avec une sorte de modestie et l’abandonnent respectueusement aux deux portes latérales. Dieu! que cette avenue est vaste et longue, que ce chœur est profond et paraît lointain ! Si on pénètre dans le chœur et qu’on regarde la nef, un autre effet de diorama se présente, mais celui-là tout différent du premier. Comme l’axe de ce chœur n’est pas le même que celui de la nef, il s’ensuit que, lorsqu’on se place derrière le maître-autel, on voit la nef de biais au lieu de la voir de face, et alors on a l’aspect d’une forêt de colonnes, assez comparable à celui des bois de haute futaie bien aménagés. La comparaison est aussi exacte que possible, car ces colonnes n’ont rien de commun avec ces énormes piliers, géans massifs semblables à des éléphans chargés de tours, ou avec ces piliers de diamètre bien pris, mais trapus et ramassés sur eux-mêmes, qui soutiennent d’ordinaire les églises romanes; ce sont des colonnes sveltes, élancées, à la fois élégantes et robustes comme de beaux arbres bien venus. C’est de l’élégance de cette colonnade que résulte probablement une beauté d’un ordre plus général qui s’étend à tout l’édifice et qui en fait la véritable originalité. L’église en effet n’a pas d’unité de style, et cependant au premier abord l’œil est aussi pleinement satisfait que si l’harmonie la plus étroite régnait entre les diverses parties de l’édifice. La nef et le chœur sont de styles et de siècles différens, la nef est romane, le chœur est gothique; mais cette différence n’engendre ni contraste, ni heurts d’aucun genre. Les deux ordres de notre architecture religieuse se sont alliés dans le plus intime et le plus amoureux des mariages; chacun d’eux s’ajoute à l’autre pour le continuer et le compléter, et cherche moins à valoir par lui-même, à montrer tout ce qu’il est, qu’à montrer et à faire valoir les beautés propres à son rival. Les