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mépris qui perce dans ces lignes annonce déjà que l’oiseau de proie a jeté des regards de ce côté.

Le partage de la Pologne est le dernier exploit et le plus caractéristique de Frédéric. C’est à tort que l’on accuse l’avidité russe d’avoir imaginé ce procédé pour établir un lien entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. Il est vrai que l’impératrice Catherine dit un jour au prince Henri, frère du roi : « Vous n’avez qu’à vous baisser en Pologne et à prendre le morceau qui est à votre convenance. » Il est également vrai que le roi reçut cette ouverture avec défiance; mais de quoi se défiait-il si ce n’est des intentions qui pouvaient être cachées sous des avances flatteuses? Il n’en est pas moins certain qu’il en avait fait la proposition un an ou deux ans plus tôt par le comte Lynar; le Turc, prétexte toujours commode, en fournit l’occasion. « L’intérêt de la Russie, nous le savons par lui-même, était de mettre la main sur une part de la Pologne, bien à son gré, bien à sa portée surtout, et d’en laisser d’autres portions à l’Autriche et à la Prusse. C’était d’abord le moyen de contenter tout le monde, puis d’expulser de la chrétienté cette masse abominable de sensualisme mahométan, d’ignorance et de fanatisme. » Il ne faisait pas dire par son ambassadeur, mais il a dit dans ses écrits, et nul n’en doute, que l’alliance avec la Russie « lui rendait le des libre, et que dans le changement des circonstances la Prusse ne trouvera jamais avec les autres puissances l’équivalent des avantages qu’elle trouve avec ce pays. » Il écrit ailleurs, et nous l’en croyons volontiers, que « jamais acquisition ne fut plus avantageuse que celle de la province polonaise appelée Prusse occidentale : elle joignait la Poméranie et la Prusse orientale, « deux biens mal acquis par un bien plus mal acquis encore; » elle lui donnait la Vistule et lui permettait à la fois de défendre ses provinces lointaines et de « lever des droits considérables sur tout le commerce de la Pologne. » Ce projet, plus fructueux que loyal, n’étant pas saisi par l’impératrice, tomba d’abord : quand il revint à Frédéric sous la forme d’un propos en l’air, il parut d’abord un piège, mais aussitôt que l’Autriche, qui avait ses vues à part, eut témoigné de la répulsion, la promptitude succéda à l’hésitation. Puisque l’Autriche ne voulait pas, le gain était visiblement de son côté. Le vieux roi fut tout feu et flamme pour le partage, il s’y jeta jusqu’au cou : le bon temps de la conquête de Silésie semblait revenu; la cavalerie prussienne était augmentée sur-le-champ de 8,000 hommes. Il menaça l’Autriche d’une nouvelle guerre de sept ans, et il avait derrière lui les armées russes. Une activité juvénile ranimait cet homme étrange, qui attendait des années dans une léthargie apparente les occasions pour les saisir aux cheveux. Il commença gaî-