Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

piqueurs d’once, de tous les médiocres fripons qui le harcèlent, lui donnerait-on l’ampleur et la liberté d’action dont il a besoin pour remplir le but d’utilité générale qui est sa véritable raison d’être? Non; ces industriels retors ne sont pas un danger, ils sont à peine un ennui. Souvent on remarque dans sa marche une certaine oscillation, on en cherche la cause, et l’on ne s’aperçoit pas que le mont-de-piété n’a aucune base, qu’il ne s’appartient pas, et qu’avant tout il faut le rendre à lui-même. Une seule chose est à considérer, l’intérêt du public; toute autre préoccupation doit disparaître devant celle-là. Or, pour bien se rendre compte de la situation respective de l’emprunteur et du prêteur, il faut voir combien le public paie l’argent qu’on lui avance : au mont-de-piété, 9 pour 100, — au commissaire-priseur 1/2 pour 100, droit fixe de prisée; — si l’objet est vendu, 3 1/2 pour 100 de droit d’adjudication, ce qui fait en tout 13 pour 100; si l’objet est dégagé, il n’a soldé que 9 1/2; s’il est engagé ou dégagé par commissionnaire, il coûte 11 1/2. On paie donc au minimum 9 1/2, au maximum 15 pour 100; c’est exorbitant. Le mont-de-piété peut-il du moins capitaliser ses bénéfices, s’en faire un fonds de roulement qui lui permette de ne pas emprunter et de diminuer l’intérêt du prêt qu’il a consenti? Nullement. Il faut préciser, ne serait-ce que pour prouver que parfois nous excellons dans l’absurde.

Le mont-de-piété emprunte pour prêter au public, mais il ne peut prêter que d’après l’évaluation des commissaires-priseurs, sur lesquels il n’exerce aucune action; tous les bénéfices que lui rapportent ses différentes opérations appartiennent de droit à l’assistance publique, qui ne peut lui donner ni un ordre, ni une instruction, ni même un conseil. Comme dans le principe on avait rattaché le mont-de-piété au système de l’hôpital-général, auquel a succédé le bureau des hospices, qui est aujourd’hui l’assistance publique, on veut absolument voir dans cette administration un caractère de bienfaisance qu’elle n’a pas. De plus, elle doit livrer ses revenus aux hospices, mais cela en vertu du décret constitutif de l’an XII, qui disait que ceux-ci fourniraient le capital. Dans ce cas, il était juste qu’ils en touchassent la rente; or on sait ce qui s’est passé : les hospices n’ont jamais avancé une somme quelconque au mont-de-piété. Néanmoins l’habitude subsiste, et celui-ci achète fort cher un argent qui ne lui coûterait rien, s’il avait gardé ce qu’il a gagné, argent qu’il est obligé de faire payer bien plus cher encore au public. Veut-on savoir la somme que le mont-de-piété a versée aux hospices depuis 1806 ? — 22,731,872 francs 86 centimes. Il avait là de quoi se constituer un capital roulant qui l’affranchissait pour toujours des emprunts qu’il sera forcé de contacter, tant que sa situation n’aura pas été modifiée.